La prise de l’aéroport stratégique de Kavumu le 14 février 2025 par les rebelles du M23, suivie de leur infiltration dans Bukavu dès le 15 février, marque un tournant sans précédent dans la crise sécuritaire qui ravage l’est de la République démocratique du Congo (RDC). En moins de 48 heures, ce groupe armé – soutenu par le Rwanda selon l’ONU et plusieurs gouvernements – a consolidé son emprise sur le Sud-Kivu, provoquant un exode massif de civils et exposant les fractures géopolitiques de la région. Ce dossier décrypte les dynamiques militaires, humanitaires et diplomatiques de cette escalade, alors que la communauté internationale peine à endiguer une crise aux ramifications historiques.
Origines du M23 : de la rébellion tutsie à l’outil géopolitique rwandais
Les racines communautaires : protection des Tutsis congolais
Créé en 2012 par d’anciens combattants du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), le M23 tire son nom de l’accord du 23 mars 2009 censé intégrer les rebelles tutsis dans l’armée congolaise. Cet échec d’intégration, marqué par des discriminations systémiques et des assassinats ciblés, a conduit à la mutinerie de Bosco Ntaganda, un seigneur de guerre condamné par la CPI. Le mouvement se présentait alors comme le défenseur des Tutsis congolais face aux FDLR (rebelles hutus rwandais) et à l’État négligent.
Le parrainage rwandais : une stratégie de déstabilisation
Dès 2012, des rapports de l’ONU ont documenté le soutien du Rwanda au M23, notamment via des livraisons d’armes et l’envoi de soldats réguliers. En 2025, cette implication s’est transformée en alliance ouverte : près de 4 000 soldats rwandais opéreraient aux côtés des 6 000 combattants du M23, selon des sources onusiennes. Kigali justifie son intervention par la nécessité de combattre les FDLR, mais les experts y voient une stratégie de contrôle des ressources minières (or, coltan) et d’affaiblissement de Kinshasa.
L’offensive de 2025 : une guerre éclair aux conséquences dramatiques
La chute de Kavumu : verrou stratégique sauté
Le 14 février à 14h00, le M23 a pris le contrôle de l’aéroport de Kavumu, situé à 30 km de Bukavu, après une avancée fulgurante depuis Kabamba. Cette infrastructure cruciale – dernier point d’appui logistique des FARDC – est tombée « presque sans résistance », selon des témoins locaux. Les images diffusées montrent des rebelles en tenue neuve posant devant des hélicoptères militaires abandonnés.
La société civile décrit une retraite chaotique des FARDC : « Les militaires ont dégarni leurs positions avant l’arrivée des rebelles », relate un habitant de Kavumu. Cette désorganisation rappelle la chute de Goma en janvier 2025, où le M23 avait profité de la fragmentation des lignes gouvernementales.
Bukavu sous tension : entre occupation et psychose
Dès le 15 février à l’aube, des coups de feu ont retenti dans les quartiers nord-ouest de Bukavu, alors que des éléments du M23 prenaient position devant le gouvernorat et la mairie. La population, prise de panique, s’est barricadée : « Les marchés sont fermés, les rues bondées de véhicules fuyant vers l’ouest… Tout le monde attend ce qui va arriver », décrit Hypocrate Marume de la société civile.
Si les rebelles contrôlent pour l’instant les axes stratégiques (route d’Uvira, aéroport), leur présence en ville reste limitée. Mais leur tactique d’intimidation – pillages ciblés et tirs sporadiques – vise à saper le moral des FARDC et à tester les réactions internationales.
Enjeux régionaux : vers un embrasement des Grands Lacs
Le Burundi, nouvel acteur déterminant
Engagé aux côtés des FARDC avec 10 000 soldats, le Burundi a adopté un ton belliciste contre Kigali. Le 12 février, le président Évariste Ndayishimiye a menacé : « Celui qui va nous attaquer, nous allons l’attaquer », accusant le Rwanda de soutenir des « groupes terroristes ». Cette rhétorique enflamme les vieux démons ethniques entre régimes tutsi (Rwanda) et hutu (Burundi), risquant de transformer le conflit en guerre ouverte.
La SADC dans l’impasse
La Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), dont les troupes ont remplacé la MONUSCO en 2023, peine à contenir l’avancée du M23. Le sommet d’urgence du 10 février n’a pas permis de dégager une stratégie commune, tiraillée entre les pro-Rwandais (Ouganda) et les pro-Congolais (Afrique du Sud).
Crise humanitaire : l’ONU sonne l’alarme
350 000 déplacés dans l’indifférence
Le HCR recense 350 000 déplacés dans le Sud-Kivu depuis janvier 2025, entassés dans des camps insalubres où le choléra progresse. À Bulengo, près de Goma, le M23 a ordonné l’évacuation forcée de 72 000 personnes, qualifiée de « crime de guerre » par Amnesty International.
Bukavu, ville fantôme
À Bukavu, la population survit entre pénurie d’eau et montée des prix : « Un sac de farine coûte maintenant 50 $, contre 15 $ il y a un mois », témoigne un commerçant. MSF alerte sur l’effondrement des services de santé : « Nos stocks de médicaments sont à sec, et les blessés affluent », confie un médecin sous couvert d’anonymat.
Réponses internationales : entre immobilisme et complicité
La MONUSCO en échec cuisant
La mission onusienne, présente depuis 1999, a perdu toute crédibilité. Le 14 février, son entrepôt de Goma a été pillé sous les yeux des casques bleus, incapables de protéger leurs propres installations. Avec seulement 12 000 soldats sur le terrain – contre 20 000 en 2020 –, la MONUSCO se contente désormais d’abris passifs pour civils.
L’Occident divisé face au Rwanda
Malgré les preuves accablantes de l’implication rwandaise, les États-Unis et l’UE refusent de sanctionner Kigali. Le Rwanda, allié clé dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, bénéficie d’une impunité diplomatique. « Personne n’osera couper les vivres à un pays qui envoie ses troupes au Mozambique », analyse un diplomate européen sous couvert d’anonymat.
Scénarios : la course contre la montre
Bukavu, prochaine cible
Les rebelles pourraient tenter de prendre Bukavu d’ici 72 heures, selon des analystes militaires. Sa chute leur donnerait le contrôle du lac Kivu et des mines de coltan du Sud-Kivu, verrouillant 60 % des exportations congolaises.
Risque de fragmentation de la RDC
Avec Goma et Bukavu sous leur coupe, les rebelles pourraient proclamer un « État autonome du Kivu », entérinant la partition de facto du pays. Ce scénario rappellerait la guerre de 1998-2003, où des milices soutenues par le Rwanda et l’Ouganda avaient contrôlé l’est congolais.
Conclusion : l’heure des choix
La communauté internationale doit trancher : sanctionner le Rwanda au risque de perdre un allié stratégique, ou laisser le M23 redessiner la carte des Grands Lacs. En toile de fond, 7 millions de déplacés depuis 2021 rappellent l’urgence d’une solution inclusive, intégrant les griefs des communautés locales. Sans cela, le spectre d’un « génocide oublié » plane sur le Kivu, dans l’indifférence générale.