Au cœur de Kinshasa, un vent de désolation souffle sur la gare de Kintambo. Les bulldozers de l’Hôtel de ville ont transformé des vies en gravats, laissant derrière eux un champ de ruines et de désespoir. « J’ai tout perdu en quelques heures. Où vais-je dormir avec mes enfants ce soir ? », interroge Jean-Bosco, la voix brisée, devant les débris de sa maison occupée pendant deux décennies. Cette scène se répète parmi des dizaines de familles désormais condamnées à l’errance, symbole criant d’une crise urbaine qui interroge les priorités des autorités.
Le paysage ressemble à une zone de guerre : matelas éventrés, meubles fracassés et souvenirs familiaux ensevelis sous des monticules de béton. Parmi les décombres, une jeune femme arpente les ruines avec l’énergie du désespoir. « Mon commerce de vivres était ici. L’ONATRA nous avait pourtant donné des autorisations… », murmure-t-elle en brandissant un document froissé. Une contradiction qui soulève des questions sur la coordination entre institutions étatiques.
Le gouvernement provincial justifie cette opération-choc par la nécessité de « libérer les emprises ferroviaires » dans le cadre d’un vaste projet de réhabilitation du réseau de transport. Objectif affiché : décongestionner une capitale étouffant sous les embouteillages chroniques. Mais à quel prix humain ? Aucun plan de relogement n’accompagne ces démolitions expéditives, selon les associations locales.
« Comment peut-on parler de développement quand on jette des enfants dans la rue ? », s’indigne un responsable d’ONG contacté par nos soins. Ce cri du cœur résume un dilemme récurrent en République Démocratique du Congo : la modernisation urbaine doit-elle nécessairement passer par la précarisation des plus vulnérables ?
Derrière les enjeux infrastructurels se profile une réalité économique implacable. La majorité des expulsés survivait grâce à des petits commerces installés le long des voies ferrées. « Cet endroit était notre gagne-pain depuis des années », confie un ancien vendeur de carburant, montrant du doigt les carcasses de bidons écrasés. Une économie informelle vitale, balayée sans alternative proposée.
Cette crise met en lumière les failles d’une gestion urbaine souvent accusée de privilégier les grands chantiers au détriment des droits sociaux. Alors que Kinshasa connaît une pression démographique croissante, le déficit en logements abordables atteint des niveaux critiques. Les autorités parlent de « récupération des espaces publics », mais les habitants dénoncent une approche punitive.
« On nous traite comme des squatteurs alors que beaucoup ont des titres de propriété », proteste une mère de famille exhibant un contrat jauni. Cette ambiguïté juridique nourrit un climat de défiance envers les institutions. Les promesses de compensation restent lettre morte, selon plusieurs témoignages recueillis sur place.
Au-delà du drame humain immédiat, cette situation pose des questions cruciales sur le modèle de développement de la RDC. Comment concilier impératifs économiques et protection des citoyens ? Les projets d’infrastructure doivent-ils systématiquement précéder les études d’impact social ? Autant de défis qui appellent à une réflexion collective urgente.
Alors que la nuit tombe sur Kintambo, des familles improvisent des abris de fortune avec des bâches trouées. « Le gouvernement veut moderniser le pays, mais commence par nous rendre plus pauvres », lance amèrement un vieil homme en ramassant des tôles tordues. Un paradoxe qui résonne comme un avertissement : aucune croissance ne peut être durable si elle laisse une partie de la population sur le bas-côté.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net