Dans une salle de classe aux murs fissurés de la cité de Masisi, Claudine, enseignante depuis quinze ans, observe d’un regard éteint les bancs à moitié vides. « Avant, on devait refuser des élèves par manque de place. Maintenant, on supplie les familles de nous ramener leurs enfants », murmure-t-elle. Une semaine après la reprise partielle des cours dans ce territoire du Nord-Kivu, l’ambiance ressemble à un champ de bataille silencieux. Entre les cahiers abandonnés et les cartables oubliés, c’est toute une génération qui vacille sous le poids des conflits armés.
Des salles de classe en état de choc
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les responsables scolaires locaux, moins de 40% des élèves ont répondu présent. Les combats entre les FARDC, appuyés par les Wazalendo, et les rebelles du M23 ont transformé les écoles en refuges précaires. « Comment voulez-vous qu’un enfant apprenne à lire quand il n’a pas mangé depuis hier ? », interroge Claudine, les mains tremblantes sur un tableau noir à moitié effacé. Les récits s’accumulent : enfants hébétés par le bruit des explosions, adolescents mutiques, fournitures scolaires remplacées par des paquets de sel ou de farine.
Enseigner le ventre vide : le calvaire des professeurs
Derrière chaque pupitre vide se cache une tragédie invisible : celle des enseignants. Beaucoup, comme Claudine, n’ont pas perçu de salaire depuis six mois. « Je vends des beignets au marché le matin pour avoir de quoi acheter de la craie », confie un directeur d’école primaire sous couvert d’anonymat. La crise dépasse le cadre éducatif – elle révèle l’effondrement en cascade d’un système où même les diplômés se transforment en survivants. Les accords de Doha et de Washington, signés il y a quelques jours à peine, semblent déjà lointains face à l’urgence des estomacs vides.
Nyabiondo : une nouvelle épée de Damoclès
Alors que des combats ont éclaté près de Nyabiondo le 25 avril, la psychose gagne les parents d’élèves. « À chaque explosion, je cours à l’école pour récupérer mes enfants », témoigne une mère rencontrée près du marché de Masisi. Les établissements scolaires fonctionnent désormais au rythme des alertes sécuritaires, transformant les cours de récréation en zones de transit pour déplacés. Un paradoxe cruel dans une région où l’école était jadis perçue comme un sanctuaire inviolable.
Entre trêves fragiles et réalités explosives
Le territoire de Masisi incarne aujourd’hui l’échec cuisant des processus de paix. Malgré les annonces médiatisées, les armes continuent de tonner à quelques kilomètres des salles de classe. Les enseignants dénoncent une « schizophrénie politique » : comment croire aux promesses de stabilité quand les premiers concernés – élèves comme professeurs – doivent choisir entre risquer leur vie ou renoncer à leur avenir ? Cette crise éducative cristallise un enjeu majeur pour la RDC : jusqu’à quand pourra-t-on reconstruire ce que la guerre détruit chaque jour ?
Alors que Kinshasa affiche sa volonté de relancer l’économie et la politique nationale, le drame silencieux de Masisi pose une question cruciale : quel pays émergera des cendres d’une jeunesse sacrifiée ? Entre les lignes de front et les pages des manuels scolaires, c’est toute la cohésion sociale congolaise qui se joue aujourd’hui.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net