Dans une déclaration récente relayée par Radio Okapi, le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix et figure emblématique de la lutte pour la stabilité en RDC, a jeté un pavé dans la mare des diplomates engagés dans la résolution des conflits à l’Est du pays. Ses propos, teintés d’un scepticisme mordant, interrogent l’efficacité des multiples initiatives de paix éparpillées à travers la région des Grands Lacs. Une question plane : ces efforts dispersés ne risquent-ils pas d’alimenter davantage le chaos plutôt que de l’apaiser ?
Le médecin de Bukavu n’a pas mâché ses mots en évoquant la récente désignation du président togolais Faure Gnassingbé par l’Union africaine pour piloter un nouveau processus de médiation. Si Mukwege appelle à soutenir cette initiative, c’est à condition qu’elle serve de catalyseur pour « harmoniser les efforts des États et institutions partenaires ». Un plaidoyer qui résonne comme un avertissement : la multiplication des feuilles de route concurrentes – chacune portée par des intérêts divergents – pourrait reproduire les erreurs historiques ayant transformé la RDC en laboratoire d’expérimentations géopolitiques ratées.
Le chirurgien devenu militant politique rappelle avec une ironie amère le bilan des accords passés. De l’accord-cadre d’Addis-Abeba en 2013 – qu’il salue comme une exception – à la myriade de pactes conclus sous pression internationale, le résultat reste inchangé : intégration factice de groupes armés dans les forces de sécurité, promotion de seigneurs de guerre au sein des institutions, et perpétuation d’une économie de prédation. « Des solutions de court terme pour une crise qui exige une vision sur le temps long », assène-t-il, pointant du doigt les calculs politiciens qui sapent toute perspective de paix durable en RDC.
Pourtant, une lueur d’espoir perce dans son analyse. Les mesures restrictives prises par les États-Unis et l’Union européenne contre le Rwanda – dont la suspension de l’aide internationale – marqueraient un tournant dans l’attitude de la communauté internationale. « La tragédie congolaise ne laisse plus indifférent », constate Mukwege, y voyant les prémices d’une prise de conscience. Mais suffira-t-il de sanctions ciblées pour tarir les réseaux transfrontaliers de prédation des ressources, véritable moteur du conflit ?
L’appel du Nobel congolais résonne comme un défi lancé aux capitales occidentales : coordonner les pressions sur Kigali tout en exigeant de Kinshasa une gouvernance irréprochable. Une équation complexe, alors que les élections de 2023 ont laissé un goût d’inachevé dans la consolidation démocratique. La balle est désormais dans le camp des partenaires techniques et financiers : sauront-ils transformer leurs déclarations d’intention en mécanismes contraignants ?
Dans cette partie d’échecs géopolitique où la RDC sert trop souvent de plateau de jeu, Denis Mukwege mise sur un renversement des logiques. Plutôt que de céder aux sirènes des solutions rapides, il enjoint la communauté internationale à privilégier une approche holistique : pression économique accrue sur les sponsors régionaux des milices, accompagnement rigoureux des réformes institutionnelles, et surtout, priorité absolue donnée aux victimes oubliées de ces guerres sans fin. Le chemin vers la paix ressemble à une course d’obstacles – mais pour le Dr Mukwege, chaque pas compte.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
