Dans les ruelles animées de Kinshasa, devant la cathédrale Notre-Dame du Congo, une foule se presse, mêlant prières et spéculations. « Si le cardinal Ambongo devient Pape, ce sera notre victoire à tous », confie Mathilde, une marchande de chikwangue, les yeux brillants d’espoir. Cet élan populaire résume l’onde de choc traversant la République Démocratique du Congo depuis l’annonce du décès du Pape François, dont les funérailles pourraient précéder l’un des conclaves les plus historiques de l’Église catholique.
Le prélat congolais Fridolin Ambongo, figure montante du Conseil des cardinaux depuis 2020, incarne aujourd’hui les espoirs d’un continent longtemps marginalisé dans les arcanes du Vatican. Son parcours, entre théologie et militantisme pour la démocratie, résonne particulièrement en RDC, où son soutien aux élections libres en 2023 avait marqué les esprits. « Il parle notre langue, celle de la lutte contre les injustices », souligne le père José, curé d’une paroisse de Goma.
Pourtant, ce possible destin papal ne fait pas l’unanimité. En 2024, le cardinal s’était opposé à François sur la bénédiction des couples homosexuels, révélant une fracture au sein même de l’Église. « Ambongo défend nos valeurs africaines », argue un groupe de fidèles rencontré à Lubumbashi. Une position qui pourrait cependant compliquer son dialogue avec les communautés LGBTQ+ en pleine visibilité sur le continent.
Face à lui, le cardinal guinéen Robert Sarah incarne un autre visage de l’Afrique catholique : traditionaliste, proche de Benoît XVI, farouche opposant aux réformes progressistes. « Ce duel Ambongo-Sarah dépasse la simple succession : c’est le choc entre deux visions de l’Église en Afrique », analyse le théologien kinois Dieudonné Mbala. Un paradoxe alors que le défunt Pape, lors de sa visite historique à Kinshasa en 2023, appelait à « réconcilier les traditions et les défis contemporains ».
La question agite les réseaux sociaux congolais : et si la RDC devenait le berceau du premier Pape africain ? Certains y voient un levier pour renforcer le poids diplomatique du pays, d’autres craignent des récupérations politiques à l’approche des élections de 2028. « L’Église doit rester indépendante du pouvoir », rappelle un militant de la société civile, évoquant le rôle crucial des médias congolais dans ce débat.
Reste que l’héritage de François plane sur ce conclave. Son rapprochement avec les périphéries, symbolisé par son mémorable discours au stade des Martyrs devant un million de Congolais, a redéfini les équilibres géopolitiques du Vatican. « Les cardinaux africains représentent désormais 25% des électeurs, contre 9% en 1978 », précise un expert en actualités religieuses RDC. Une révolution démographique qui pourrait enfin se traduire par un siège papal à peau noire.
Mais au-delà des calculs stratégiques, c’est l’âme d’une institution bimillénaire qui se joue. Comment concilier unité doctrinale et diversité culturelle ? L’Église peut-elle devenir véritablement universelle sans briser ses derniers plafonds de verre ? À Kinshasa comme à Rome, les fidèles retiennent leur souffle : l’Histoire s’écrit parfois à coups de conclaves.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net