La disparition du pape François, à l’âge de 88 ans, plonge la République Démocratique du Congo dans une réflexion collective sur l’héritage d’une figure spirituelle devenue, paradoxalement, un acteur politique incontournable. Son discours cinglant au Palais de la Nation en janvier 2023 résonne aujourd’hui comme un testament géopolitique, mêlant spiritualité et plaidoyer anticolonial.
« Retirez vos mains de la RDC ! » : cette injonction vibrante, lancée devant les élites congolaises et diplomatiques, résume à elle seule le paradoxe d’un pontificat africain. Comment un souverain pontife, chef d’État du Vatican, a-t-il pu incarner à ce point les aspirations d’un peuple longtemps ignoré par les chancelleries occidentales ? La réponse se niche peut-être dans cette formule assassine comparant le pays à un « diamant ensanglanté », image poétique dénonçant l’exploitation systémique des ressources congolaises.
Son analyse des conflits à l’Est de la RDC, notamment au Nord-Kivu, dépassait le cadre habituel des appels à la paix. En qualifiant l’indifférence internationale de « complicité par omission », François positionnait l’Église catholique congolaise – déjà influente dans les domaines de la santé RDC et de l’éducation – en contre-pouvoir moral face aux défaillances étatiques. Un rôle que le cardinal Ambongo continue d’incarner, au risque de froisser certains cercles du pouvoir.
La visite de 2023, première depuis celle de Jean-Paul II en 1985, avait pourtant commencé sous les auspices d’une diplomatie vaticane classique. Mais c’est dans l’arène du stade des Martyrs de Kinshasa, face à une mer de fidèles, que le pape argentin opéra sa mue la plus spectaculaire. Son sermon contre le tribalisme et la corruption visait-il seulement les mentalités locales ? Ou constituait-il un avertissement voilé aux partenaires économiques étrangers, accusés de perpétuer un néocolonialisme déguisé en investissements ?
Les références à saint Augustin, brandies comme un miroir face aux dirigeants congolais, révèlent une stratégie rhétorique redoutable. En rappelant que « les États sans justice ne sont que des bandes de voleurs », le pape esquissait les contours d’une gouvernance éthique exigeante. Un message qui trouve aujourd’hui un écho particulier, alors que les actualités politiques RDC sont marquées par des tensions préélectorales et des défis sécuritaires persistants.
Quel impact durable cette vision papale aura-t-elle sur la politique RDC ? Les observateurs notent que l’insistance sur la « jeunesse comme architecte de la nation » a irrigué les discours récents de la société civile. Pourtant, les défis économiques – thématique chère au pape défunt – restent entiers : exploitation minière opaque, inégalités criantes, dépendance aux capitaux étrangers…
La relation ambivalente entre le Saint-Siège et Kinshasa mérite décryptage. En soutenant les prises de position critiques du cardinal Ambongo sur l’insécurité à l’Est, François a-t-il surjoué l’influence vaticane ? Ou simplement assumé le rôle historique d’une Église présente dans les actualités locales RDC depuis les indépendances ? Les récentes tensions entre autorités religieuses et pouvoir exécutif suggèrent que ce legs demeure explosif.
Aujourd’hui, alors que les nouvelles congolaises évoquent des hommages transpartisans, une question persiste : qui reprendra le flambeau de ce combat contre les « nouvelles formes d’étouffement de l’Afrique » ? Le pape disparu laisse derrière lui un vide stratégique, tant son magistère moral servait de caisse de résonance aux doléances congolaises sur la scène internationale.
Reste que son appel à « rendre aux Congolais la maîtrise de leur destin » dépasse le cadre spirituel. En filigrane se dessine une critique acerbe des modèles de développement imposés, thème récurrent dans les analyses politiques RDC. Un héritage qui pourrait inspirer les prochaines batailles législatives sur la gestion des ressources naturelles, dossier brûlant s’il en est.
Alors que Kinshasa prépare des obsèques nationales symboliques, d’autres s’interrogent : la communauté internationale saura-t-elle honorer cette mémoire autrement que par des couronnes de fleurs ? L’histoire jugera si les mots du pape contre le « poison de la cupidité » auront inoculé quelque anticorps moral dans les arcanes du pouvoir, local comme global.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd