Dans un coin de la salle Show Buzz à Kinshasa, les visages marqués par l’épreuve racontent une histoire silencieuse. Gracillia Tasiviwe, déplacée de Goma au Nord-Kivu, se tient droite, mais sa voix tremble. « Nous avons tout perdu. Ici, même un repas par jour est un luxe », confie-t-elle lors d’une journée d’échange organisée le 19 avril. Comme des milliers d’autres, elle a fui l’avancée du M23 soutenu par l’armée rwandaise, pour se heurter à une autre guerre : celle de la survie dans une capitale où le coût de la vie étrangle les plus vulnérables.
Combien de Gracillia errent aujourd’hui dans les rues de Kinshasa, Lubumbashi ou Beni ? Les chiffres officiels se perdent dans les rapports, mais les réalités, elles, crèvent les yeux. « À Goma, nous cultivions nos terres. Ici, tout s’achète », soupire une mère de famille, les mains vides devant un marché où les prix défient toute logique. L’inflation galopante, couplée à l’absence de soutien structurel, transforme l’exil en calvaire quotidien.
Face à cette détresse, l’initiative du député Patrick Munyomo fait office de goutte d’eau dans un océan de besoins. Les 100 000 USD distribués aux déplacés de Kinshasa – et promis à ceux de Beni – soulèvent une question cruciale : jusqu’à quand la solidarité dépendra-t-elle de gestes ponctuels ? « Cet argent nous aidera à tenir quelques semaines », admet un bénéficiaire, reconnaissant mais lucide. Derrière l’urgence matérielle, c’est le spectre de l’oubli qui guette ces populations doublement meurtries.
La présence de cet élu de Goma interroge autant qu’elle interpelle. En portant ces voix jusqu’au Chef de l’État, Munyomo rappelle crûment le rôle dévolu aux institutions. Mais que pèsent ces démarches face à l’enracinement des conflits dans l’Est ? Les analyses politiques RDC pointent depuis des années l’imbrication des intérêts régionaux et des failles sécuritaires. Pendant ce temps, des familles entières recomposent leur existence dans des abris de fortune, à des centaines de kilomètres de leurs racines.
Cette crise humanitaire, miroir grossissant des fractures congolaises, pose un défi de cohésion nationale. Comment Kinshasa peut-elle à la fois gérer l’afflux massif de déplacés et répondre aux besoins de sa propre population ? Les actualités locales RDC révèlent quotidiennement cette tension entre urgence et développement. Les infrastructures scolaires et sanitaires, déjà saturées, frôlent l’implosion sous la pression démographique.
Les témoignages recueillis lors de cette journée dessinent une vérité implacable : sans paix durable dans le Kivu, les drames se déplacent mais ne se résolvent pas. Les appels répétés à la communauté internationale résonnent dans un vide stratégique. Entre les promesses d’aide et les réalités sur le terrain, le fossé se creuse autant que les rivières d’érosion dans les quartiers précaires de la capitale.
Au-delà de l’assistance d’urgence, c’est tout un modèle de reconstruction qu’il faut inventer. L’économie RDC peut-elle intégrer ces déplacés comme acteurs plutôt que comme fardeaux ? Des projets d’agriculture urbaine aux formations professionnelles ciblées, les pistes existent. Mais leur mise en œuvre bute sur un manque chronique de volonté politique et de moyens coordonnés.
Alors que le soleil se couche sur Show Buzz, une question bruisse dans l’air lourd : et si ces déplacés, par leur résilience même, détenaient une partie de la solution ? Leur exode forcé pourrait-il catalyser une prise de conscience nationale ? Dans l’immédiat, les rires d’enfants jouant entre les chaises vides rappellent l’essentiel : chaque jour gagné contre la faim est une victoire. Mais jusqu’à quand ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
