Dans l’enceinte surpeuplée de la prison centrale de Beni, un vent nouveau semble souffler. Vendredi 18 avril, des agents pénitentiaires ont échangé leurs uniformes contre une posture d’écoute inhabituelle. Objectif : repenser les rapports hommes-femmes jusque dans les couloirs des cellules. « Avant, je voyais ma collègue femme comme une assistante, aujourd’hui je réalise qu’elle mérite le même respect que n’importe quel gradé », confie sous anonymat un gardien, les traits marqués par une prise de conscience tardive.
L’initiative pilotée par l’association Tendo la Roho et la MONUSCO frappe par son audace : implanter les concepts de masculinité positive en milieu carcéral, là où les inégalités de genre se cristallisent avec violence. Ange Maliro, porte-voix de l’ONG, décrypte : « Notre défi ? Transformer des hommes habitués à exercer l’autorité par la coercition en promoteurs actifs de l’équité ». Un pari ambitieux dans une région minée par les conflits armés et les stéréotypes patriarcaux.
Derrière les barreaux de Beni, la formation dépasse le simple atelier de sensibilisation. Il s’agit d’une véritable ingénierie sociale appliquée à l’univers clos des prisons. Les formateurs insistent sur un point crucial : la masculinité positive n’est pas un renoncement à l’autorité, mais sa réinvention. « Un vrai leader carcéral, c’est celui qui protège les droits des détenues femmes sans compromettre la sécurité », souligne un expert d’UNPOL présent sur place.
Mais comment transformer des décennies de normes sociales profondément ancrées ? Le programme mise sur un effet boule de neige. « Chaque agent formé devient un relais dans sa communauté », explique Ange Maliro. Une stratégie payante alors que la RDC enregistre des progrès mitigés dans la mise en œuvre de la résolution 1325 de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité.
La présence croissante de personnels féminins dans l’administration pénitentiaire congolaise ajoute une urgence à ce chantier. « Nos collègues femmes subissent parfois des remarques déplacées qui entravent leur travail », témoigne une surveillante. Les formateurs ont donc axé leur module sur la déconstruction des microviolences quotidiennes – ces « petites » discriminations qui perpétuent les inégalités structurelles.
Reste la question centrale : une formation peut-elle infléchir des mentalités forgées par des années de pratiques patriarcales ? Les premiers signaux semblent encourageants. « Depuis la session, notre équipe mixte discute autrement pendant les pauses », rapporte un cadre de la prison. Une lueur d’espoir dans un système carcéral congolais souvent pointé du doigt pour ses conditions inhumaines.
Cette initiative s’inscrit dans un contexte national volatil. Alors que les actualités politiques RDC sont dominées par les tensions pré-électorales, des acteurs de la société civile tentent de réinventer les bases du vivre-ensemble. La masculinité positive en milieu carcéral pourrait bien devenir un laboratoire pour l’ensemble de la société congolaise. Mais le chemin reste semé d’embûches : budget limité, résistances culturelles et turnover du personnel menacent la pérennité du projet.
En marge des débats sur l’économie RDC ou la sécurité dans l’Est, cet effort discret ouvre une brèche vers un changement plus profond. Et si les prisons devenaient le berceau insoupçonné d’une nouvelle égalité des genres ? La réponse se construit jour après jour, dans les gestes et les paroles des agents de Beni, devenus malgré eux les pionniers d’une révolution sociale en milieu fermé.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net