Dans l’effervescence de Kinshasa, une scène rare a capté l’attention ce lundi 28 avril. Des employés du Fonds National de promotion et de service social (FNPSS) se passent tour à tour un micro-trottoir symbolique : des billets froissés glissés dans une urne tricolore, sous les applaudissements discrets de hauts fonctionnaires. « Mon frère combat à Masisi sans bottes depuis six mois », confie un agent, le regard rivé sur sa modeste contribution. Ce geste apparemment banal cristallise une mobilisation nationale inédite.
Alice Mirimo Kabetsi, pilote de cette initiative, cadre son action dans une rhétorique militante : « Quand nos soldats manquent de pansements et que des adolescents creusent le cobalt à la place des études, quel choix avons-nous ? ». La Coordonnatrice du projet sur la chaîne d’approvisionnement du cobalt lie habilement enjeux miniers et sécurité nationale. Son plaidoyer trouve écho chez les cadres présents : ministère du Genre, Affaires sociales, représentants de la solidarité nationale… Une convergence inattendue de secteurs habituellement cloisonnés.
Derrière les discours officiels transparaît une réalité plus âpre. Les 55 millions de dollars annuels alloués à la défense selon le budget 2024 suffiront-ils face à l’enchevêtrement des crises ? Le FNPSS, habituellement dédié à la protection sociale, se mue en caisse de résonance citoyenne. « Cette collecte n’est qu’un symbole », tempère un économiste contacté par nos soins, « mais elle interroge notre modèle de financement de la sécurité ».
L’Est du pays devient le réceptacle de toutes les tensions. Les récentes avancées des FARDC à Kanyabayonga justifient-elles cet élan de solidarité ? Certains observateurs y décèlent plutôt un signal politique, à six mois des échéances électorales. « Soutenir l’armée, c’est soutenir le pouvoir », glisse un militant de la société civile sous couvert d’anonymat.
Le paradoxe congolais resurgit : une nation riche en minerais stratégiques qui dépend de la générosité populaire pour équiper ses soldats. Cette initiative soulève des questions brûlantes. Jusqu’où peut s’étendre la solidarité institutionnalisée ? Ne risque-t-on pas de normaliser le désengagement de l’État ? Les 137 millions de dollars de la Banque Mondiale pour le projet REDISS, destinés à la réintégration sociale, auraient-ils dû prioriser la sécurité humaine ?
Kinshasa vibre aujourd’hui d’une ferveur patriotique, mais demain ? Les défis restent colossaux : 5,7 millions de déplacés internes selon le HCR, des groupes armés qui contrôlent 40% des mines artisanales… La vraie bataille se jouera peut-être moins sur les champs de combat que dans ces urnes transparentes où s’accumulent les espoirs fragiles d’une nation en quête de cohésion.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net