Dans un geste protocolaire chargé de symbolisme, Jean-Marc Kabund, Président national de l’Alliance pour le Changement (A.Ch), a effectué ce vendredi 25 avril 2025 une visite remarquée à la Nonciature Apostolique de Kinshasa. Objectif affiché : signer le livre de condoléances suite au décès du Pape François. Mais derrière les fleurs de rhétorique et les condoléances officielles, se profile-t-il une manœuvre à dimension stratégique dans l’échiquier politique congolais ?
Arrivé en milieu de matinée sous escorte sécuritaire, le leader de l’opposition institutionnelle a longuement échangé avec Monseigneur Ettore Balestrero, Nonce apostolique en RDC. « En ces heures de deuil universel, notre nation tout entière pleure un pasteur dont la voix transcendait les clivages », a déclaré M. Kabund devant les caméras, adoptant un registre œcuménique inhabituel pour ce tribun habituellement incisif.
Ce déplacement s’inscrit dans une séquence politique sensible à trois mois des élections sénatoriales. L’A.Ch, formation réformiste mais en perte de vitesse dans les sondages, chercherait-elle à capter l’électorat catholique estimé à 40% de la population ? La question mérite d’être posée tant le timing interpelle. Depuis l’annonce du décès du souverain pontife, pas moins de 23 personnalités politiques ont fait le déplacement à la Nonciature, transformant ce lieu de recueillement en arène de soft power.
L’Église catholique : arbitre incontournable des crises congolaises ?
« Quand Rome éternue, Kinshasa s’enrhume », ironise un diplomate européen sous couvert d’anonymat. La formule résume l’influence historique de l’Église catholique en RDC, acteur-clé lors des transitions politiques depuis la Conférence nationale souveraine de 1992. En s’affichant au premier rang des hommages, Kabund tenterait-il de s’attirer les bonnes grâces d’une institution capable de mobiliser des foules massives ?
Certains observateurs y voient une tentative de redorer un bilan politique écorné par les récentes dissensions internes au sein de l’A.Ch. « Présenter ses condoléances, c’est bien. Proposer un projet de société crédible, c’est mieux », lance avec malice un membre du Front commun pour le progrès (FCP), principale formation de la majorité présidentielle.
La course aux soutiens indirects s’intensifie
Cette visite intervient dans un contexte où l’opposition pluraliste peine à formuler un front commun contre le pouvoir en place. En jouant la carte du dialogue interconfessionnel, Kabund positionne subtilement son mouvement comme pont entre la société civile religieuse et le monde politique. Stratégie payante ou calcul à courte vue ?
Le débat agite déjà les cercles proches de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). « Aucune formation politique ne peut s’arroger le monopole du deuil papal », tempère Mgr Marcel Utembi, président de la CENCO, rappelant la neutralité requise de l’Église dans les joutes électorales.
Quelles retombées pour l’A.Ch ?
Reste à savoir si cette opération séduction portera ses fruits dans un paysage politique congolais toujours plus fragmenté. Alors que les actualités politiques RDC sont dominées par les préparatifs des législatives partielles, Kabund mise sur un repositionnement idéologique. Son recours à un vocabulaire consensuel – il a parlé de « deuil national » à cinq reprises lors de sa brève déclaration – contraste avec son habituelle verve contestataire.
Cette métamorphose rhétorique traduit-elle un virage pragmatique en prévision des prochains scrutins ? Ou n’est-elle qu’un épiphénomène dans la politique RDC où les alliances se font et se défont au gré des circonstances ? La réponse viendra peut-être des prochaines éditoriales de la puissante Radio Okapi, souvent considérée comme le baromètre de l’opinion publique congolaise.
Ce qui est certain, c’est qu’en cette période de recompositions pré-électorales, chaque geste symbolique pèse son poids d’intentions stratégiques. Le défi pour Kabund sera de transformer cette exposition médiatique en capital politique tangible, sans susciter les accusations d’instrumentalisation du religieux. Un équilibre aussi délicat que la gestion des relations entre l’État congolais et le Saint-Siège…
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net
