La visite du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba au parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, ce mercredi 19 août 2020, aura révélé bien plus qu’un simple constat d’abandon. Face aux installations délabrées, la question rhétorique du chef du gouvernement – « Mais qu’est-ce qui a manqué ? » – a provoqué une réponse cinglante de son ministre de l’Agriculture, Joseph-Antoine Kasonga : « L’amour du pays ». Un échange qui résume à lui seul l’implosion d’un projet présenté comme vitrine de l’émergence économique sous Joseph Kabila, aujourd’hui symbole de gabegie.
Au cœur de la tourmente, l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, dont le nom revient comme un leitmotiv dans ce désastre financier estimé à 205 millions de dollars selon le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF). L’homme, qui clame son innocence en dénonçant un « procès politique », reconnaît pourtant un fait troublant : le financement du projet s’est arrêté net en décembre 2016, soit à la fin de son mandat. « J’ai toujours été le mal-aimé du parti de Kabila », confie-t-il à Jeune Afrique, justifiant son départ du FCC par des « convenances personnelles ». Une défense qui sonne comme un aveu de divorce avec son ancienne famille politique.
Derrière les accusations de mauvaise gouvernance et d’association de malfaiteurs, se profile un duel à distance entre deux visions du pouvoir. Alors que Matata multiplie les tribunes – de son exposé au Sénat en juin 2020 sur « l’émergence par le leadership » à sa revue Congo Challenge –, le camp Ilunga réplique par des gestes forts. La mission d’audit confiée à Jacqueline Penge Sanganyoi visant les « services budgétivores » de l’ère Matata, ou la visite médiatisée à Bukanga Lonzo, s’apparentent à une contre-offensive méthodique.
Mais pourquoi cette guerre des chiffres et des symboles prend-elle une telle ampleur ? Certains y voient la crainte d’un retour en grâce de Matata, dont les ambitions pour la primature transparaissent dans chaque prise de parole. D’autres, comme le sénateur Aubin Minaku, fustigent ouvertement « le comble d’une gestion sur base caisse » et s’interrogent : « Pourquoi […] nous nous sommes retrouvés dans une situation de profonde précarité au moment où le pays devait bénéficier des retombées d’une croissance proche de 10 % ? ». Une question qui renvoie dos à dos l’ancien et le nouveau régime.
L’audit de l’IGF, pièce maîtresse du dossier, accuse formellement l’ex-Premier ministre d’avoir orchestré un montage financier opaque avec l’ex-gouverneur de la Banque centrale et un homme d’affaires sud-africain. Pourtant, Matata semble moins préparer sa défense juridique que son come-back politique. Ses récentes sorties sur « la tempête orageuse de l’économie congolaise » sous Tshisekedi trahissent une stratégie : capitaliser sur les difficultés actuelles pour incarner l’alternative.
Reste que le calendrier judiciaire pourrait contrarier ces ambitions. La Cour constitutionnelle devant se prononcer le 23 mai prochain, l’heure n’est plus aux métaphores économiques mais aux articles du code pénal. Entre les lignes, se joue une bataille plus large sur l’héritage de la gouvernance kabiliste et les fractures au sein de l’ex-FCC. Alors que Kinshasa retient son souffle, une question persiste : Bukanga Lonzo marquera-t-il la fin politique de Matata Ponyo, ou le début d’une reconquête par le tribunal de l’opinion ?
Au-delà des chiffres et des procédures, cet imbroglio révèle les failles d’un système où chaque projet phare peut se muer en arme de guerre partisane. Alors que le gouvernement actuel promet de « corriger les erreurs du passé », l’enjeu dépasse la simple reddition des comptes. Il s’agit rien moins que de restaurer une crédibilité économique mise à mal – tâche herculéenne dans un pays où les exonérations fiscales controversées et la multiplication des entités territoriales obèrent toute vision de long terme.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net