La visite du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba au parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, ce mercredi 19 août 2020, aura révélé bien plus qu’un simple constat d’abandon. Entre les murs décrépis et les équipements rouillés, une question fuse : « Mais qu’est-ce qui a manqué ? ». La réponse cinglante du ministre de l’Agriculture, Joseph-Antoine Kasonga — « L’amour du pays » — résonne comme un aveu d’échec collectif. Ce dialogue, presque théâtral, ouvre une boîte de Pandore où s’entrechoquent responsabilités politiques, soupçons de malversations et règlements de comptes au sein de l’ex-FCC.
À travers ce projet phare du régime Kabila, présenté comme un fleuron de la diversification économique, c’est toute la gouvernance des années 2012-2016 qui est mise en cause. L’ancien Premier ministre Matata Ponyo, architecte du projet, se retrouve dans le collimateur. Ses déclarations contradictoires — reconnaissant un arrêt des financements en tout en niant toute mauvaise gestion — alimentent la polémique. « S’il y a eu mauvaise gouvernance, il faut établir les responsabilités », lance-t-il, dans une posture défensive qui contraste avec son discours sur « l’émergence par le leadership » tenu au Sénat en juin 2020.
Mais comment comprendre cette soudaine offensive contre l’ancien technocrate, jadis chouchou des institutions financières internationales ? La réponse se niche peut-être dans les fractures au sein de l’ex-FCC. En quittant brutalement le PPRD et le FCC en mars 2021, Matata Ponyo a-t-il signé son arrêt de mort politique ? Ses ambitions affichées pour la primature — via son Congo Challenge et ses comparaisons désobligeantes avec le gouvernement Ilunga — ont visiblement exacerbé les tensions. La réplique ne s’est pas fait attendre : audit des structures créées sous son mandat, investigation de l’IGF, et enfin, ce rapport accablant mentionnant 205 millions de dollars détournés.
Le procès en « gestion sur base caisse » mené par Aubin Minaku, figure historique du PPRD, révèle une autre dimension : celle d’un règlement de comptes entre anciens alliés. Les questions rhétoriques de l’ex-président de l’Assemblée nationale — « Pourquoi cette précarité malgré une croissance de 10% ? » — visent moins à éclairer qu’à enterrer un rival gênant. Matata, en technocrate décomplexé, aurait-il oublié que dans la « Kabilie », on ne quitte pas le navire sans payer son tribut ?
La stratégie de l’actuel gouvernement semble pourtant à double tranchant. En instrumentalisant le scandale Bukanga Lonzo, le camp Ilunga tente de redorer son blason après des mois de gestion critiquée. Mais cette opération « vérité » tardive — près de quatre ans après les faits — ne risque-t-elle pas de se retourner contre ses initiateurs ? Les exonérations fiscales controversées et la multiplication des entités territoriales, héritages directs du mandat Matata, continuent de peser sur les finances publiques.
Alors que la Cour constitutionnelle doit se prononcer ce 23 mai, une interrogation subsiste : Bukanga Lonzo marque-t-il l’acte final d’une carrière politique ou le premier round d’une recomposition plus large ? Les récentes tensions au sein de la majorité présidentielle, entre partisans d’une épuration judiciaire et défenseurs d’une réconciliation nationale, laissent présager de nouveaux soubresauts. Dans ce jeu d’échecs politico-financier, chaque pièce sacrifiée — même un cavalier aussi encombrant que Matata — pourrait précipiter de nouvelles défections.
Reste que le véritable dossier dépasse les personnes. Avec 72% de la population vivant sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale, la RDC peut-elle se permettre de tels gaspillages ? Alors que le gouvernement actuel promet de relancer l’agriculture industrielle, l’état de Bukanga Lonzo sonne comme un avertissement : sans transparence dans les partenariats public-privé et sans contrôle citoyen, les futurs projets risquent de connaître le même naufrage. L’enjeu dépasse les querelles partisanes — il touche à la crédibilité même de l’État congolais face à une population excédée par les promesses non tenues.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net