Au cœur de la tourmente sécuritaire qui secoue l’Est de la RDC, un geste inédit vient de marquer les esprits. Ce jeudi 24 avril, les FARDC engagées sur le front ont reçu une cargaison de vivres d’une valeur symbolique forte : 1 000 sacs de semoule, 1 000 cartons de cuisses de poulet, 500 cartons de biscuits… La main qui tend ces denrées n’appartient ni à un État partenaire ni à une ONG internationale, mais au réseau d’affaires Makutano. Une initiative qui soulève autant d’espoirs que de questions brûlantes sur les réalités de l’effort de guerre.
« Comment rester insensible quand nos soldats combattent l’agression avec le ventre vide ? », interroge Nicole Sulu, présidente de Makutano, lors de la remise officielle au vice-Premier ministre de la Défense. Son plaidoyer résonne dans un pays où la mobilisation générale décrétée par le président Tshisekedi bute sur les réalités logistiques. Les sacs de semoule s’empilent dans la cour du ministère comme autant de preuves d’un secteur privé congolais qui tente de prendre le relais.
Le ministre Guy Kabombo Muadiamvita salue « une bouffée d’oxygène pour nos troupes », mais derrière les sourires protocolaires se cache une réalité plus sombre. Deux semaines seulement après un don similaire des confessions religieuses, cette nouvelle initiative privée dessine en filigrane une crise structurelle : l’État parvient-il encore à assumer ses missions régaliennes ? Les rations alimentaires militaires – enjeu vital pour le moral des troupes – dépendraient-elles désormais de la charité organisée ?
À Kinshasa, certains analystes politiques y voient un « patriotisme économique » salutaire. « Quand des entreprises locales investissent dans la défense nationale, cela crée un nouveau contrat social », estime un expert sous couvert d’anonymat. Pourtant, d’autres voix s’inquiètent : cette externalisation des responsabilités étatiques ne risque-t-elle pas de fragiliser à terme l’autorité publique ? Le réseau Makutano, connu pour son influence dans les cercles économiques, marche ici sur un terrain miné où l’humanitaire côtoie le politique.
Sur le terrain opérationnel à l’Est, les bénéficiaires directs accueillent ces vivres avec un optimisme mitigé. Un capitaine des FARDC joint par téléphone confie : « Chaque carton compte, mais une bataille ne se gagne pas avec des boîtes de conserve. Nous avons besoin d’armes modernes, de renseignements fiables… ». Sa remarque pointe du doigt le fossé entre les dons ponctuels et une stratégie militaire cohérente.
Cet événement s’inscrit dans une actualité politique RDC marquée par les appels répétés au patriotisme économique. Alors que le pays négocie son entrée dans la communauté est-africaine, la dépendance aux initiatives privées questionne. Le modèle Makutano – entre réseau d’affaires et acteur sociétal – deviendra-t-il un standard en temps de crise ? L’analyse politique RDC révèle ici un paradoxe : la guerre contre les groupes armés s’accompagne d’une reconfiguration inédite des rapports entre pouvoir public et sphère économique.
Au-delà de l’aspect humanitaire, ce don alimentaire pourrait bien être le premier acte d’un théâtre plus vaste. Avec des élections à l’horizon, chaque geste symbolique prend une résonance particulière. La défense nationale, domaine traditionnellement réservé à l’État, devient peu à peu une cause mobilisant entreprises, Églises et société civile. Une mutation qui interroge autant qu’elle fascine, dans un pays où les frontières entre sphères d’influence restent mouvantes.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
