Dans l’ombre des collines du Nord-Kivu, où la brume matinale se mêle aux échos lointains des conflits, une autre bataille, plus silencieuse, se joue entre les lignes des pages imprimées. À Goma, cité volcanique aux blessures ouvertes, Bukasa Kabwe, directeur général des éditions NGE, dresse un constat glaçant : le livre, ce véhicule millénaire de savoirs et de rêves, étouffe sous le poids des kalachnikovs et des suspicions. Son cri d’alarme, lancé en marge de la Journée mondiale du livre, résonne comme un requiem pour la culture congolaise en zones rebelles.
Les routes qui relient Kampala à Goma, artères vitales pour la diffusion des ouvrages, sont devenues des chemins de croix. « Les transporteurs refusent de risquer leur vie pour des cartons de papier », confie Kabwe, la voix empreinte d’une colère contenue. Chaque cargaison devient un pari : les contrôles illégaux des groupes armés transforment les romans en suspects, les essais en prisonniers, les manuels scolaires en otages. Comment une région peut-elle rêver d’un avenir serein si ses récits sont condamnés à l’asphyxie ?
Cette méfiance généralisée, née de la peur des représailles, crée un cercle vicieux dévastateur. « Les rebelles fouillent les histoires comme on traque des ennemis », déplore l’éditeur. À Bukavu, Goma ou Rutshuru, les librairies se vident progressivement, remplacées par le silence complice de l’autocensure. Les métaphores littéraires, jadis fenêtres sur l’imaginaire collectif, se heurtent désormais aux murs épais de la paranoïa politique. Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, terres fertiles en créativité, assistent impuissants à l’appauvrissement de leur paysage intellectuel.
Pourtant, derrière ce constat sombre, persiste une lueur d’espoir ténue. Kabwe rappelle avec force que « chaque livre intercepté est une graine de résistance qui germera tôt ou tard ». Son appel à la solidarité nationale transcende les clivages : il en va de la préservation de l’âme congolaise, de sa capacité à penser au-delà des frontières tracées par les armes. Dans ce combat, les mots deviennent des remparts – fragiles mais indispensables – contre l’oubli programmé.
Alors que Kinshasa actualités bruisse de débats politiques, cette crise culturelle silencieuse interroge notre rapport à la liberté d’expression. Les éditions NGE, symbole de résilience dans le paysage médiatique RDC, incarnent ce journalisme d’investigation par les lettres. Leur lutte dépasse la simple logistique : il s’agit de sauvegarder le droit fondamental à raconter, à questionner, à imaginer. Car sans récits partagés, comment construire les fondations d’une paix durable ?
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net