Dans un village reculé de l’Ituri, une mère de famille raconte, les yeux emplis de lassitude : « Nos champs sont devenus des champs de bataille. On ne sait plus qui est frère, qui est ennemi. » Ce témoignage glaçant résume l’impact des 400 conflits coutumiers et communautaires recensés en 2023 dans cette province en proie à des tensions historiques. Un chiffre alarmant révélé mardi 22 avril lors d’un séminaire gouvernemental soutenu par la MONUSCO à Bunia.
Jean Bosco Abiandroa, chef de la Division provinciale des affaires coutumières, dresse un constat sans appel : « Chaque litige autour des terres, des successions ou des chefferies non résolu allume une mèche. » Ces querelles, en apparence locales, alimenteraient directement la prolifération des groupes armés. Une mécanique infernale où le désespoir social nourrit le recrutement des milices. Comment en est-on arrivé à cette escalade ? Et surtout, existe-t-il une issue à cette crise polymorphe ?
L’analyse des experts présents lors des assises de Bunia pointe un cocktail explosif. D’un côté, des traditions ancestrales instrumentalisées pour des conquêtes de pouvoir. De l’autre, une jeunesse désœuvrée transformant les rancœurs familiales en business de la violence. « Le conflit entre les Hema et les Lendu a montré comment les tensions locales peuvent dégénérer en guerre régionale », rappelle un participant sous couvert d’anonymat.
La MONUSCO, partenaire clé de ce dialogue, insiste sur l’urgence d’une réponse holistique. « Sans résolution des contentieux traditionnels, toute stratégie de désarmement reste vouée à l’échec », analyse un expert onusien. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 60% des villages touchés par ces conflits ont vu émerger des factions armées locales en moins de six mois.
Face à ce tsunami de violences, Jean Bosco Abiandroa lance un appel pressant aux autorités traditionnelles : « Les chefs coutumiers doivent redevenir des pères conciliateurs plutôt que des seigneurs de guerre en costume d’apparat. » Un défi de taille dans une région où certains dignitaires sont accusés de confisquer les terres communautaires pour leur propre compte.
Cet atelier de trois jours a permis d’esquisser des pistes concrètes : création de tribunaux mixtes associant droit positif et médiation traditionnelle, campagnes de sensibilisation dans les langues locales, cartographie des zones à risques. Autant de mesures qui nécessiteront un engagement soutenu des autorités provinciales et de la communauté internationale.
Derrière les statistiques se cache une réalité humaine brutale. Des écoles fermées par centaines, des centres de santé pillés, des récoltes incendiées. Chaque conflit coutumier laisse des cicatrices qui mettront des générations à s’effacer. La question qui taraude aujourd’hui l’Ituri est simple : ces mécanismes de paix parviendront-ils à contrer la logique mortifère de la kalachnikov et des machettes ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net