« Je n’ai plus de toit, mais au moins ici, on nous donne à manger », confie Marie, mère de cinq enfants, les yeux rivés sur le terrain poussiéreux du stade Tata Raphaël. Comme des centaines d’autres familles kinoises, elle a été transférée de l’Institut Lumumba à Limete, où les salles de classe transformées en abris de fortune n’offraient plus de sécurité. Les dernières pluies diluviennes à Kinshasa ont laissé derrière elles un bilan invisible : des milliers de vies suspendues, entassées sur des sites de relogement où l’humanité tente de survivre entre promesses politiques et réalité crue.
Le terrain municipal de Bandalungwa, destiné à accueillir près de 4 000 sinistrés, ressemble aujourd’hui à un puzzle de bâches et de couvertures. Des jerricans d’eau alignés comme des soldats silencieux rappellent l’urgence sanitaire. « La situation reste fragile », reconnaît Patricien Gongo, ministre provincial de la Santé, lors de sa visite mardi 22 avril. Entre deux poignées de main protocolaires, il promet une « prise en charge médicale renforcée », mais sur le terrain, les dispensaires mobiles peinent à suivre la cadence des besoins.
Pourquoi les distributions de vivres provoquent-elles encore des scènes de chaos ? La réponse des autorités est sans appel : les chefs de quartiers sont désormais en première ligne pour gérer l’aide. Une décision censée « éviter les détournements », selon le ministre. Pourtant, dans un coin du stade Tata Raphaël, un groupe de femmes murmure son scepticisme : « Avant, c’était les ONG qui distribuaient. Maintenant, on doit supplier nos propres voisins… »
Les enjeux dépassent la simple gestion de crise. Kinshasa, mégalopole de près de 15 millions d’habitants, voit ses vulnérabilités s’exacerber à chaque saison des pluies. Urbanisation anarchique, infrastructures défaillantes, planification absente : le cocktail est explosif. « Ces relogements ne sont qu’un pansement sur une fracture sociale », analyse un acteur humanitaire sous couvert d’anonymat. Que deviendront ces familles quand les stades et terrains devront retrouver leur fonction initiale ?
Certains sinistrés, pourtant, tentent de croire en un avenir. « Le gouvernement dit qu’il nous écoute », soupire Jean-Paul, étudiant dont les livres scolaires ont été emportés par les eaux. Dans son cahier trempé, il a griffonné une demande : « Des solutions durables, pas des camps ». Un cri étouffé par le grondement des bulldozers qui préparent déjà d’autres sites d’accueil…
Alors que les actualités politiques RDC focalisent souvent sur les discours, cette crise humanitaire révèle une autre facette de la gouvernance locale. La santé publique, l’urbanisme et la responsabilité sociale sont mis à l’épreuve. Entre les lignes des déclarations officielles se dessine une question cruciale : Kinshasa saura-t-elle transformer l’urgence en opportunité pour repenser son développement ?
Les prochains jours seront décisifs. Avec la saison sèche qui s’installe, le temps joue contre les déplacés. Les défis logistiques – accès à l’eau potable, prévention des épidémies, scolarisation des enfants – exigent une coordination sans faille. Dans le paysage médiatique congolais, où le journalisme d’investigation RDC peine parfois à percer, cette crise reste un test pour la transparence des actions publiques.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net