Dans la pénombre d’une actualité congolaise souvent tumultueuse, une nouvelle vient de frapper le monde intellectuel comme un coup de tonnerre. Yves Mudimbe Yoka, ce géant de la pensée dont les mots sculptaient les contradictions de l’Afrique postcoloniale, s’est éteint mardi 22 avril aux États-Unis. Une disparition qui résonne bien au-delà des frontières de la RDC, laissant un silence lourd là où résonnaient ses interrogations sur l’identité, la mémoire et la fracture coloniale.
Qui était cet homme dont l’œuvre continue de hanter les bibliothèques et les consciences ? Né en 1941 à Likasi, au cœur du Haut-Katanga, Mudimbe a traversé les époques comme un archéologue des âmes. Son parcours, à l’image de ses romans, épouse les méandres d’un continent en quête de soi. Éduqué par les moines bénédictins, novice tenté par la vie religieuse avant de rompre le silence des cloîtres, il partira fouiller les textes philosophiques à Louvain, en Belgique. De cette tension entre spiritualité et raison naîtra une écriture aussi dense que poignante.
Ses romans – Le Bel Immonde, Entre les Eaux, L’Invention de l’Afrique – ne se contentent pas de raconter : ils dissèquent. Chaque phrase devient un scalpel qui ouvre les veines de l’histoire congolaise, interrogeant sans relâche les cicatrices laissées par le colonialisme. Huit Mulongo, son ancien étudiant devenu professeur émérite à l’Université de Lubumbashi, le décrit comme « un sismographe des mutations sociales ». Et d’ajouter, dans un souffle empreint d’émotion : « Son œuvre n’appartient plus au passé. Elle dialogue avec les luttes actuelles, les rêves brisés, les espoirs têtus de notre jeunesse ».
Comment mesurer l’ampleur d’un tel héritage ? Peut-être en observant ce geste ultime : il y a trois ans, Mudimbe offrait sa bibliothèque personnelle – plus de mille ouvrages – à l’Université de Lubumbashi. Ces livres, témoins d’une vie dédiée au savoir, formeront désormais un pont entre les générations. Une manière de dire que les idées, contrairement aux hommes, ne meurent jamais.
Dans le paysage des actualités culturelles RDC, cette disparition crée un vide que nul ne pourra combler. Pourtant, comme le souligne Mulongo, « Yoka nous quitte, mais il ne nous a pas quittés ». Ses textes continueront de brûler les doigts de ceux qui osent les feuilleter, posant des questions qui dérangent : quelle langue parle l’Afrique véritable ? Comment écrire son histoire sans tomber dans le piège des récits imposés ?
Aujourd’hui, tandis que Kinshasa bruisse de cette nouvelle et que les cercles intellectuels du monde entier lui rendent hommage, une certitude émerge : Mudimbe a transformé la littérature congolaise en champ de bataille symbolique. Ses romans ne sont pas de simples fictions, mais des armes de construction massive – pour repenser le présent, déchiffrer l’avenir.
La culture RDC perd un de ses phares, mais gagne une légende. Et si la mort n’était pour lui qu’un dernier « écart », comme l’un de ses titres prophétiques ? Dans ce cas, son esprit erre quelque part entre les eaux du Congo et les bibliothèques poussiéreuses, toujours à la recherche de cette Afrique qu’il n’a cessé d’inventer.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net
