Le monde des lettres congolaises vient de perdre l’une de ses étoiles les plus brillantes. Yves Mudimbe Yoka, ce géant de la pensée dont les mots sculptaient autant les consciences que les continents, s’est éteint ce mardi 22 avril aux États-Unis. Une disparition qui résonne comme un séisme dans le paysage culturel de la RDC, laissant derrière elle un silence peuplé de réminiscences.
Qui était cet homme dont l’œuvre a redéfini les contours de la philosophie africaine contemporaine ? Né en 1941 à Likasi, au cœur du Haut-Katanga, Mudimbe a traversé les frontières physiques et intellectuelles avec la grâce d’un funambule. De son éducation chez les moines bénédictins à ses études philosophiques à Louvain, chaque étape de son parcours dessine les lignes d’une destinée hors norme. Son roman Entre les Eaux, véritable coup de machette dans la jungle des conventions littéraires, instaura dès 1973 une rupture esthétique et politique dans la littérature congolaise.
« Yoka nous quitte, mais il ne nous a pas quittés, car son œuvre continuera de nous parler »
Cette confidence du professeur Huit Mulongo, son ancien étudiant devenu émérite à l’Université de Lubumbashi, résume l’essence d’un héritage indélébile. Les murs de cette institution prestigieuse, où Mudimbe enseigna, gardent encore l’écho de ses cours qui mêlaient rigueur académique et fulgurances poétiques.
Son dernier geste, trois ans avant de s’effacer, en dit long sur son attachement viscéral au terreau congolais : le don de sa bibliothèque personnelle – plus de mille ouvrages – à l’alma mater katangaise. Une offrande symbolique où chaque livre devient semence pour les générations futures. Comment ne pas voir dans ce legs une métaphore de sa propre œuvre, ces textes-gigognes qui contiennent toute l’Afrique et la dépassent ?
De L’Invention de l’Afrique, ce brûlot épistémologique qui déconstruit les récits coloniaux, au Bel Immonde où la prose se fait miroir des contradictions postcoloniales, Mudimbe n’a cessé de creuser le sillon d’une pensée libre. Une pensée qui dialogue avec Foucault tout en dansant au rythme des tambours du Katanga, fusionnant les héritages dans une alchimie unique.
La disparition de ce titan survient à l’heure où la culture RDC, entre effervescence créative et défis structurels, cherche ses repères. Quel rôle joueront désormais ces œuvres-phares dans la navigation des jeunes intellectuels congolais ? La réponse se niche peut-être dans les rayonnages de Lubumbashi, où des étudiants feuillettent déjà les précieux volumes offerts par celui qui fut tour à tour moine, professeur, et enfin sage.
Par-delà les frontières de la RDC, c’est toute la sphère académique internationale qui salue un visionnaire. Ses textes, traduits en une douzaine de langues, continueront de nourrir les débats sur la décolonisation des savoirs. Une actualité brûlante à l’ère des restitutions patrimoniales et des révolutions décoloniales.
La nuit tombe sur Kinshasa, mais certaines lumières persistent. Celles allumées par des hommes comme Yves Mudimbe Yoka, dont les écrits constituent autant de balises dans le brouillard des temps incertains. Et si la mort peut venir à bout des corps, elle échoue toujours devant les idées qui dansent, immortelles, entre les lignes des livres.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net
