Dans un contexte où les enjeux de transparence autour des grands projets d’infrastructure cristallisent les tensions, la visite des députés nationaux du Kongo Central au port de Matadi prend des allures de mise en scène politique soigneusement chorégraphiée. Accompagnés des dirigeants de Matadi Corridor Terminaux à conteneurs (MCTC), les élus ont parcouru samedi dernier les installations en pleine métamorphose, entre engins de chantier rutilants et discours sur la « modernisation du monde portuaire » chère à Félix Tshisekedi.
Le président du conseil d’administration Bodom Matungulu et son directeur général Christian Ngoy ont déployé un véritable arsenal de persuasion : démonstration technique des nouveaux équipements, exposé détaillé sur le calendrier des travaux, assurances répétées quant au respect des engagements sociaux. Une communication rodée qui n’a pas manqué de susciter des applaudissements nourris parmi la délégation parlementaire. Mais derrière cette unanimité de façade, les questions persistent : cette visite protocolaire suffira-t-elle à apaiser les craintes sur les retombées locales du projet ?
« Nous veillerons à ce que les intérêts des fils et filles du Kongo Central soient préservés », a martelé Pierre Nsumbu Mutu Kalavo, président du caucus provincial. Une déclaration de vigilance qui sonne comme un avertissement à peine voilé aux concessionnaires. Car le dossier épineux du transfert des agents de l’ONATRA vers MCTC, tout comme la question des compensations sociales, continuent d’alimenter les inquiétudes syndicales.
La stratégie de MCTC, qui se présente en partenaire zélé de la politique présidentielle, mérite décryptage. En invitant spécifiquement les élus locaux, le consortium international joue habilement la carte du patriotisme économique. « Ce projet s’inscrit dans la vision modernisatrice du chef de l’État », a répété Bodom Matungulu, associant habilement l’image de la société à celle du pouvoir central. Une manœuvre qui place les députés devant un dilemme cornélien : soutenir un projet d’envergure nationale tout en défendant des intérêts électoraux locaux parfois contradictoires.
L’économie réelle de la province du Kongo Central sera-t-elle la grande gagnante de cette modernisation ? Si les promesses d’emplois et de transfert technologique abondent dans les discours, les détails concrets restent étrangement absents des comptes-rendus officiels. Le « fonds social » évoqué par les dirigeants de MCTC ressemble à s’y méprendre à ces dispositifs fourre-tout dont la gestion opaque alimente régulièrement les scandales en RDC.
La rencontre avec la gouverneure Grâce Nkuanga Masuangi Bilolo en amont de la visite portuaire ajoute une autre dimension à ce ballet politique. Ce passage protocolaire obligé révèle les jeux d’influence complexes entre pouvoir central, autorités provinciales et investisseurs privés. Un triangle dont les équilibres détermineront l’appropriation réelle du projet par les populations locales.
Avec ses 350 mètres de quai modernisés et ses nouveaux portiques automatisés, le port de Matadi se rêve en hub logistique de référence. Mais les élus provinciaux sauront-ils transformer leur enthousiasme de circonstance en véritable vigilance citoyenne ? L’avenir dira si cette visite marque le début d’un contrôle parlementaire effectif ou simplement une opération de séduction de plus dans l’album photo de la gouvernance Tshisekedi.
Alors que les actualités économiques RDC oscillent entre projets ambitieux et réalités sociales brutales, ce dossier-test pourrait bien devenir le symbole des nouvelles contradictions du modèle de développement congolais. Entre les impératifs d’une mondialisation vorace et les attentes des communautés riveraines, la marge de manœuvre des décideurs politiques se réduit comme une peau de chagrin. Reste à savoir si les députés du Kongo Central sauront jouer autre chose que les figurants dans cette pièce où se rejoue, une fois de plus, le vieux drame de la croissance inclusive.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd