Le décès du Pape François a provoqué une onde de choc à Kinshasa, où le Gouvernement congolais a tenu à saluer avec emphase l’héritage d’un pontife décrit comme « un allié indéfectible » de la République démocratique du Congo. Dans un communiqué lu d’une voix grave par Patrick Muyaya, porte-parole du Gouvernement, les autorités ont rendu hommage à un homme dont les « prises de position courageuses » auraient marqué l’histoire récente du pays. Mais derrière les hommages officiels se cachent des interrogations sur la capacité des dirigeants congolais à incarner les valeurs défendues par le Saint-Siège.
« Retirez vos mains de la RDC »: la phrase prononcée par le Pape François en janvier 2023 à l’encontre des multinationales résonne aujourd’hui comme un rappel à l’ordre pour un pouvoir souvent accusé de complaisance face aux pressions économiques étrangères. Le souverain pontife, lors de sa visite historique à Kinshasa, avait dénoncé avec une rare virulence le « colonialisme économique » rongeant le pays. Un discours qui contrastait singulièrement avec le langage diplomatique habituel des chancelleries. Mais dans les couloirs du Palais de la Nation, a-t-on vraiment entendu le message ?
Le paradoxe est saisissant. Alors que le Gouvernement pleure un « défenseur de la paix », la région du Kivu continue de s’enliser dans un conflit armé que les interventions militaires successives n’ont pu résoudre. Le Pape François avait pourtant transformé la chaire de la Ndolo en tribune politique, appelant à « un renoncement définitif à la violence ». Une position qui avait valu à Rome des remous diplomatiques, certains partenaires internationaux de la RDC jugeant alors le Vatican trop intrusif dans les affaires sécuritaires nationales.
Sur le plan culturel, l’héritage du pontife prend une dimension symbolique cruciale. Son soutien au rite zaïrois – cette adaptation de la liturgie catholique aux réalités locales – apparaît comme une métaphore de la difficile quête d’identité politique congolaise. En célébrant ce rite à Rome même, François donnait une légitimité universelle à une pratique longtemps considérée comme marginale. Une approche qui questionne indirectement les élites congolaises : jusqu’où osent-elles repenser les modiques hérités de la colonisation ?
La disparition du Pape survient à un moment charnière pour la politique intérieure congolaise. Alors que le pays s’apprête à célébrer le premier anniversaire de la visite papale, certains observateurs s’interrogent : les hommages appuyés du Gouvernement ne serviraient-ils pas à masquer l’essoufflement des réformes promises ? La « grosse perte » évoquée par Patrick Muyaya prend alors une résonance particulière : s’agit-il seulement de pleurer un allié, ou de regretter le départ d’un contrepoids moral gênant ?
Les prochains mois diront si les appels du Pape François à la justice sociale et à la souveraineté économique survivront à sa disparition. Dans un contexte où les tensions préélectorales commencent à poindre, la classe politique congolaise devra choisir entre instrumentaliser son héritage… ou s’en montrer digne. Le véritable hommage ne consisterait-il pas enfin à « retirer les mains » des richesses nationales ? La balle est désormais dans le camp des dirigeants qui, à force de célébrer les morts, risquent d’oublier leurs engagements envers les vivants.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
