La ville de Mbuji-Mayi, au cœur de la province du Kasaï-Oriental, offre un spectacle aussi poignant qu’alarmant. Des centaines d’enfants, parfois très jeunes, ont troqué leurs cahiers contre des sacs plastiques, des beignets ou des articles de toilette. Leur objectif ? Gagner quelques francs congolais pour pouvoir accéder à une éducation devenue un luxe dans cette région enclavée de la RDC.
Le marché central de Bakwandanga, habituellement animé par les commerçants adultes, voit désormais une nouvelle génération d’« entrepreneurs » en herbe. Ces enfants, confrontés à l’impossibilité d’accéder aux écoles publiques saturées, ont pris leur destin en main. « Je vends des œufs et du fromage pour payer mon école privée », confie l’un d’eux, le regard déterminé malgré son jeune âge. Une situation qui interpelle sur les réalités socio-économiques de Mbuji-Mayi, ville diamantifère pourtant riche en ressources naturelles.
Plus inquiétant encore, certains adolescents ont transformé leurs vélos en pharmacies ambulantes, parcourant les rues poussiéreuses de la ville. Une activité à haut risque, mais qui semble préférable à l’oisiveté forcée. Comment en est-on arrivé là ? La réponse se trouve dans le succès même de la politique de gratuité de l’enseignement primaire. Victime de son succès, cette mesure a engorgé les écoles publiques au-delà de leur capacité d’accueil, laissant des milliers d’enfants sur le carreau.
Face à cette crise éducative, les autorités provinciales ont mis en place un programme de rattrapage scolaire. François Mukendi, chef de division provinciale de l’Éducation, explique : « Nous offrons une formation accélérée sur trois ans, permettant aux enfants d’obtenir leur certificat et de réintégrer le système classique. » Une solution temporaire qui peine cependant à répondre à l’ampleur du problème dans cette région où près de 3 millions d’habitants luttent quotidiennement pour leur survie.
L’enclavement de Mbuji-Mayi, le manque criant d’infrastructures routières et la précarité économique généralisée créent un terreau fertile pour cette situation. Les parents, souvent sans emploi stable, ne peuvent supporter le coût des écoles privées. Résultat : une génération entière risque de grandir sans éducation adéquate, compromettant ainsi l’avenir de toute la province.
Cette réalité soulève des questions fondamentales sur l’effectivité des politiques éducatives en RDC. Si la gratuité de l’école était une mesure saluée par tous, son implémentation sans renforcement préalable des capacités d’accueil montre aujourd’hui ses limites. Le cas de Mbuji-Mayi devrait servir d’alerte pour les autres provinces confrontées à des défis similaires.
Alors que le gouvernement central promet depuis des années la construction de nouvelles écoles, sur le terrain, les enfants continuent de payer le prix fort. Leur courage et leur détermination à étudier coûte que coûte forcent l’admiration, mais ne devraient-ils pas plutôt pouvoir se concentrer sur leurs études plutôt que de devoir travailler pour les financer ? La question reste ouverte, tout comme le devenir de ces jeunes « commerçants » du Kasaï-Oriental.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net