Face aux récentes inondations dévastatrices qui ont frappé Kinshasa en avril 2025, la capitale de la République démocratique du Congo continue de lutter contre un phénomène récurrent. Ces dernières catastrophes, qui ont causé la mort d’au moins 33 personnes, s’inscrivent dans une longue histoire d’inondations qui touchent régulièrement cette mégapole de 17 millions d’habitants. Notre analyse révèle un schéma inquiétant d’urbanisation anarchique, d’infrastructures inadéquates et de réponses gouvernementales insuffisantes face à des précipitations de plus en plus intenses. Ce dossier examine l’évolution historique des inondations à Kinshasa, leurs causes structurelles et établit un parallèle avec les récentes catastrophes, mettant en lumière l’urgence d’une transformation radicale dans la gestion urbaine et environnementale de la ville.
La catastrophe d’avril 2025 : un nouveau chapitre tragique
Des pluies diluviennes se sont abattues sur Kinshasa dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 avril 2025, provoquant le débordement de la rivière Ndjili qui est sortie de son lit. Cette montée des eaux a rapidement dévasté plusieurs quartiers périphériques et défavorisés de la capitale congolaise, transformant des avenues en véritables rivières où certains habitants ont dû circuler en pirogue ou à la nage. Le bilan humain est lourd : une trentaine de morts selon les premières estimations du ministre provincial de la santé publique, le docteur Patricien Gongo Abakazi.
Selon les informations fournies par les autorités, la majorité des victimes ont perdu la vie par noyade ou dans l’effondrement de leurs maisons. Des centaines de familles ont été déplacées, nécessitant la mise en place d’abris d’urgence pour leur fournir de l’aide. Au-delà du bilan humain, les infrastructures ont également été gravement touchées, notamment la route principale menant à l’aéroport international de Ndjili qui a été temporairement coupée. L’accès à l’eau a été perturbé dans au moins 16 districts, compliquant davantage la situation humanitaire.
Réactions et critiques face à la gestion de la crise
Face à cette catastrophe, le gouvernement congolais se retrouve sous le feu des critiques, notamment concernant ses dispositifs de gestion des catastrophes. L’ONG de défense des droits de l’homme JUSTICIA Asbl a tiré la sonnette d’alarme, dénonçant l’absence de dispositifs efficaces pour prévenir et gérer les catastrophes naturelles. “Si rien n’est fait, les populations de Kinshasa et d’autres villes vont avoir l’impression que le gouvernement congolais les a abandonnées”, a déclaré Maître Timothée Mbuya, Président de JUSTICIA Asbl.
Le député national Émile Sumaïli a également interpellé le ministre de l’Aménagement du territoire, Guy Loando, sur la gestion de l’aménagement du territoire à Kinshasa. Il s’est notamment interrogé sur l’absence de mesures préventives alors que la société Mettelsat avait émis des alertes météorologiques signalant les risques d’intempéries sur la ville de Kinshasa quelques jours avant la catastrophe. Ses questions portent notamment sur l’existence d’un plan d’aménagement du territoire spécifique pour Kinshasa, les mécanismes en place pour la mise en œuvre des alertes météorologiques, et les mesures envisagées pour renforcer la résilience de la ville face aux catastrophes naturelles futures.
Perspective historique : des inondations récurrentes
Les inondations dévastatrices de 2022
Ce n’est pas la première fois que Kinshasa fait face à de telles catastrophes. En décembre 2022, des inondations encore plus meurtrières avaient frappé la capitale congolaise, causant la mort d’au moins 141 personnes selon certaines sources, voire 169 selon d’autres. Ces inondations avaient été provoquées par de fortes pluies qui avaient submergé de nombreuses routes du centre-ville et provoqué l’effondrement de nombreuses habitations.
L’ampleur de cette catastrophe avait été considérable : au moins 280 maisons s’étaient effondrées et plus de 38 000 autres avaient été touchées par les inondations. Au total, environ 12 millions de personnes, soit la majeure partie de la population de la ville, avaient été affectées. Face à cette tragédie, le gouvernement de la République démocratique du Congo avait annoncé une période de deuil national de trois jours.
Autres épisodes d’inondations notables
Les archives et témoignages montrent que Kinshasa a également connu d’importantes inondations en 2021, notamment dans le quartier de Masina, situé à l’est de la ville. Ce secteur est régulièrement touché par des inondations, illustrant la vulnérabilité chronique de certaines zones de la capitale congolaise face aux précipitations intenses.
Ces événements s’inscrivent dans un contexte régional plus large d’intempéries extrêmes. Durant la même période que les inondations d’avril 2025 à Kinshasa, des pluies extrêmes ou des orages se sont abattus sur d’autres pays d’Afrique centrale, notamment en Guinée équatoriale et au Gabon, causant la mort d’au moins deux personnes. Selon le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), environ 6,9 millions de personnes en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale ont été touchées par des pluies torrentielles et de graves inondations en 2024.
Causes structurelles des inondations récurrentes à Kinshasa
Une urbanisation anarchique face à une géographie vulnérable
La récurrence des inondations à Kinshasa s’explique en grande partie par des facteurs structurels profondément ancrés dans le développement urbain de la ville. Kinshasa est traversée par une vingtaine de rivières et longée par le fleuve Congo, ce qui la rend naturellement vulnérable aux inondations. Cette situation est aggravée par une urbanisation anarchique liée à un afflux massif de population en provenance de régions instables, avec environ 450 000 personnes qui s’installent à Kinshasa chaque année.
Face à cette pression démographique, la capitale est aujourd’hui complètement saturée. Plus préoccupant encore, la moitié de la ville est construite sur des terrains dangereux, aux abords des rivières ou sur des collines au sol sableux, augmentant considérablement les risques en cas de fortes précipitations. Les constructions anarchiques et l’entretien insuffisant des infrastructures d’assainissement, notamment les caniveaux, contribuent également à aggraver la situation lors des épisodes pluvieux intenses.
Des infrastructures inadaptées
L’insuffisance des infrastructures de drainage et d’évacuation des eaux pluviales constitue un problème majeur à Kinshasa. Les caniveaux, lorsqu’ils existent, sont souvent bouchés par des déchets ou mal entretenus, ce qui empêche l’évacuation efficace des eaux de pluie. De plus, l’imperméabilisation croissante des sols due à l’urbanisation réduit la capacité d’absorption naturelle du terrain, augmentant ainsi le ruissellement et les risques d’inondation.
Le député national Émile Sumaïli a d’ailleurs interrogé le ministre de l’Aménagement du territoire sur les actions concrètes envisagées pour résoudre les problèmes récurrents liés aux constructions anarchiques et à l’entretien insuffisant des infrastructures d’assainissement. Cette question souligne l’urgence d’une refonte complète de la gestion des infrastructures urbaines à Kinshasa.
Parallèles entre les inondations historiques et récentes
Similitudes troublantes et leçons non apprises
En comparant les inondations d’avril 2025 avec celles de décembre 2022 et d’autres épisodes antérieurs, plusieurs similitudes apparaissent clairement. D’abord, les causes immédiates restent identiques : des pluies diluviennes provoquant le débordement des rivières et le ruissellement massif dans des zones urbanisées inadaptées. Les conséquences suivent également un schéma similaire : pertes humaines, destruction d’habitations, déplacement de populations et perturbation des services essentiels.
Plus troublant encore est la récurrence des mêmes zones touchées, notamment les quartiers périphériques et défavorisés comme Masina, suggérant une vulnérabilité chronique de certains secteurs de la ville. Cette répétition des catastrophes dans les mêmes lieux indique que les leçons des inondations précédentes n’ont pas été suffisamment intégrées dans les politiques d’aménagement urbain et de prévention des risques.
Évolution de l’intensité et de la fréquence
Si les causes structurelles restent similaires, on peut néanmoins observer une possible évolution dans l’intensité et la fréquence des inondations à Kinshasa. Les données disponibles suggèrent que les épisodes de précipitations extrêmes deviennent plus fréquents, possiblement en lien avec les changements climatiques globaux. Cette tendance est particulièrement préoccupante pour une ville déjà vulnérable comme Kinshasa.
Le contexte régional plus large montre également une augmentation des catastrophes liées aux pluies dans toute l’Afrique centrale et de l’Ouest, avec 6,9 millions de personnes touchées par des inondations en 2024 selon l’OCHA. Cette évolution suggère que Kinshasa pourrait faire face à des défis encore plus importants à l’avenir si des mesures structurelles ne sont pas prises.
Défis de la gestion des risques et de la prévention
Des alertes sans actions préventives efficaces
L’un des aspects les plus préoccupants révélés par les récentes inondations est l’écart entre les systèmes d’alerte et les actions préventives. Comme l’a souligné le député Émile Sumaïli, la société Mettelsat avait émis des alertes météorologiques signalant les risques d’intempéries sur Kinshasa quelques jours avant la catastrophe d’avril 2025. Pourtant, ces avertissements n’ont pas conduit à des mesures préventives efficaces, soulevant des questions sur les mécanismes de coordination entre les services météorologiques et les autorités responsables de la gestion des risques.
Cette situation met en lumière un problème fondamental : l’existence d’alertes ne suffit pas si elles ne sont pas suivies d’actions concrètes sur le terrain. Le député a d’ailleurs directement interrogé le ministre sur “les mécanismes en place pour assurer la mise en œuvre effective des alertes météorologiques et pour coordonner l’action des différents ministères en matière de prévention des risques naturels”.
Absence de planification urbaine adaptée aux risques
Le questionnement du député Sumaïli sur l’existence d’un plan d’aménagement du territoire spécifique pour la ville de Kinshasa touche un point crucial. L’absence ou l’inefficacité d’une planification urbaine tenant compte des risques d’inondation constitue l’une des principales faiblesses dans la prévention des catastrophes à Kinshasa.
Une planification urbaine adaptée aux risques impliquerait notamment l’identification des zones inondables, la réglementation stricte des constructions dans ces zones, la préservation des espaces naturels d’absorption des eaux de pluie, et la mise en place d’infrastructures de drainage adéquates. Sans ces éléments fondamentaux, Kinshasa continuera de faire face à des catastrophes récurrentes, potentiellement de plus en plus graves à mesure que le climat évolue et que la population urbaine augmente.
Impact humain et social des inondations
Conséquences durables pour les populations touchées
Au-delà des bilans humains et matériels immédiats, les inondations à Kinshasa ont des conséquences durables sur les populations touchées. Les déplacements forcés, même temporaires, perturbent profondément la vie des familles, particulièrement dans une ville où une grande partie de la population vit déjà dans des conditions précaires. La perte des logements et des biens personnels peut plonger davantage de familles dans la pauvreté, créant un cycle de vulnérabilité difficile à briser.
Les perturbations des services essentiels, comme l’accès à l’eau potable reporté dans 16 districts après les inondations d’avril 2025, augmentent également les risques sanitaires. Les eaux stagnantes après les inondations peuvent devenir des foyers de prolifération pour les maladies vectorielles comme le paludisme, ajoutant une crise sanitaire à la catastrophe initiale.
Vulnérabilité différenciée selon les quartiers
Les inondations à Kinshasa mettent en lumière les inégalités socio-spatiales au sein de la ville. Comme l’indiquent les résultats de recherche, ce sont principalement les quartiers périphériques et défavorisés qui sont les plus durement touchés par les inondations. Cette vulnérabilité différenciée reflète des disparités plus larges en termes d’accès aux infrastructures de qualité, de solidité des habitations et de capacité à se remettre des catastrophes.
Les quartiers informels, souvent construits sans planification adéquate et sur des terrains à risque, sont particulièrement exposés. Les habitants de ces zones, déjà économiquement vulnérables, se retrouvent ainsi pris dans un cercle vicieux où leur vulnérabilité socio-économique augmente leur exposition aux risques d’inondation, qui à leur tour aggravent encore leur situation économique et sociale.
Perspectives et recommandations pour l’avenir
Nécessité d’une approche intégrée de la gestion des risques
Face à la récurrence des inondations à Kinshasa, une approche intégrée de la gestion des risques apparaît comme une nécessité absolue. Cette approche devrait combiner plusieurs dimensions complémentaires :
- Une planification urbaine stricte intégrant pleinement les risques d’inondation, avec l’identification des zones à risque et la réglementation des constructions
- Le développement et l’entretien d’infrastructures d’assainissement adaptées, notamment un réseau efficace de drainage des eaux pluviales
- Le renforcement des systèmes d’alerte précoce, mais surtout des mécanismes de réponse à ces alertes
- La sensibilisation et l’implication des communautés locales dans la prévention et la gestion des inondations
- La préservation et la restauration des zones naturelles d’absorption des eaux, comme les zones humides urbaines
La mise en œuvre d’une telle approche nécessite une coordination efficace entre les différents acteurs concernés : autorités nationales et locales, organismes techniques, société civile et organisations internationales. C’est précisément cette coordination qui semble faire défaut actuellement, comme le suggèrent les questions adressées au ministre de l’Aménagement du territoire.
Renforcement de la résilience communautaire
Au-delà des mesures techniques et institutionnelles, le renforcement de la résilience des communautés locales constitue un élément essentiel pour réduire l’impact des inondations futures. Les habitants des zones à risque doivent être formés aux comportements à adopter en cas d’alerte et aux premiers secours, et des plans d’évacuation doivent être élaborés et régulièrement testés.
Des initiatives communautaires comme le nettoyage régulier des caniveaux, la surveillance des niveaux d’eau, ou encore la mise en place de systèmes d’alerte locaux peuvent également contribuer à réduire les risques. Ces actions, si elles sont soutenues par les autorités et intégrées dans une stratégie plus large, peuvent considérablement améliorer la capacité des communautés à faire face aux inondations.
Conclusion
Les inondations récentes à Kinshasa en avril 2025, qui ont causé la mort d’au moins 33 personnes et d’importants dégâts matériels, s’inscrivent dans une longue histoire de catastrophes similaires dans la capitale congolaise. L’analyse comparative avec les inondations passées, notamment celles particulièrement meurtrières de décembre 2022, révèle des schémas récurrents tant dans les causes que dans les conséquences de ces événements.
Les facteurs structurels à l’origine de cette vulnérabilité chronique sont bien identifiés : urbanisation anarchique, constructions dans des zones à risque, insuffisance des infrastructures d’assainissement, et manque de coordination dans la gestion des alertes et des risques. Pourtant, les leçons des catastrophes précédentes ne semblent pas avoir été suffisamment intégrées dans les politiques publiques et la planification urbaine.
Face à ce constat, et dans un contexte où le changement climatique risque d’intensifier les précipitations extrêmes, une transformation profonde de l’approche de la gestion des risques à Kinshasa apparaît comme une nécessité urgente. Cette transformation doit allier mesures techniques, réformes institutionnelles et renforcement de la résilience communautaire pour briser le cycle des inondations catastrophiques qui frappent régulièrement la ville.
Le défi est immense, mais la répétition des tragédies ne peut plus être acceptée comme une fatalité. Le temps est venu pour Kinshasa de se transformer en une ville résiliente, capable de protéger efficacement ses habitants face aux aléas climatiques de plus en plus intenses qui caractérisent notre époque.