En ce début avril 2025, l’administration Trump a frappé fort en imposant des droits de douane massifs sur les importations, y compris celles en provenance d’Afrique. Ces mesures protectionnistes, qui entreront en vigueur le 9 avril, menacent de bouleverser les équilibres commerciaux établis depuis des décennies. Les taxes, variant de 10% à 50% selon les pays et secteurs concernés, représentent une rupture unilatérale avec l’esprit de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) et risquent de fragiliser davantage des économies africaines déjà vulnérables. Notre analyse dévoile l’ampleur du choc, les conséquences sectorielles et les stratégies d’adaptation possibles pour le continent face à ce nouveau protectionnisme américain.
Le nouveau protectionnisme américain et ses mécanismes
Une offensive tarifaire sans précédent
Donald Trump a annoncé le 2 avril 2025 une refonte complète de la politique commerciale américaine, qualifiant cette décision de “jour de la libération”. Cette initiative vise à mettre fin à ce que l’administration considère comme des “décennies d’abus commerciaux” et s’inscrit dans une logique de “l’Amérique contre le reste du monde”. Ces nouvelles taxes douanières ne visent pas uniquement l’Afrique, mais concernent 180 pays au total, dont 50 nations africaines.
Le mécanisme de taxation repose sur deux critères principaux : le déficit commercial des États-Unis avec leurs partenaires et les barrières douanières supposément imposées par ces pays aux produits américains. L’administration Trump a publié sur la plateforme X un tableau comparatif montrant d’un côté les droits de douane et barrières que les pays imposeraient aux produits américains, et de l’autre les nouveaux droits que les États-Unis appliqueront en réponse. Cette méthodologie inclut également des mesures indirectes comme la manipulation monétaire ou les réglementations sanitaires, considérées comme des entraves aux exportations américaines.
Une cartographie des taxes par pays africain
L’impact de ces taxes est très inégal sur le continent africain. Le Lesotho subit le traitement le plus sévère avec une taxe de 50%, l’administration américaine justifiant cette mesure par un taux supposé de 99% appliqué par ce pays aux produits américains. Madagascar (47%), Maurice (40%) et le Botswana (37%) figurent parmi les pays les plus durement touchés.
D’autres économies africaines importantes font face à des taux intermédiaires mais néanmoins conséquents : l’Angola (32%), la Libye (31%), l’Algérie (30%), l’Afrique du Sud (30%) et la Tunisie (28%). Des puissances économiques régionales comme le Nigeria (14%) ou la RDC (11%) subissent des taux moins élevés mais toujours significatifs. La majorité des pays africains, dont l’Égypte, le Maroc, le Kenya, l’Éthiopie, le Sénégal ou encore l’Ouganda, se voient appliquer le taux plancher de 10%.
Conséquences économiques pour l’Afrique
L’effondrement programmé de secteurs exportateurs clés
Le secteur textile, particulièrement développé au Lesotho grâce à l’AGOA, risque un effondrement brutal. Ce petit pays enclavé avait fait du textile le pilier de son économie, employant plus de 35 000 salariés et exportant des jeans détaxés vers les États-Unis. Des droits de douane de 50% rendront ces produits non compétitifs sur le marché américain.
L’industrie automobile sud-africaine, qui exporte pour environ 2 milliards de dollars vers les États-Unis, se trouve également menacée par une surtaxe de 30%. Ce secteur représente une part importante des 49 milliards de dollars d’exportations africaines vers les États-Unis en 2024, dont 39,5 milliards pour l’Afrique subsaharienne.
D’autres secteurs exportateurs majeurs, comme le pétrole brut (7,3 milliards de dollars), les métaux et pierres précieuses (6,9 milliards de dollars) et les vêtements (1,4 milliard de dollars) verront leur compétitivité diminuer sur le marché américain. Cette situation menace des milliers d’emplois et des filières entières développées spécifiquement pour le marché américain.
La remise en question de l’AGOA
L’AGOA, accord commercial préférentiel mis en place pour favoriser les exportations africaines vers les États-Unis, semble désormais en sursis. Cet accord permettait à plus de 1000 produits africains d’entrer aux États-Unis sans payer de droits de douane. L’imposition de nouvelles taxes constitue donc une violation de l’esprit même de l’AGOA.
Cette remise en question de l’AGOA est particulièrement problématique pour des pays qui avaient structuré une partie de leur économie autour de cet accord. Le Lesotho en est l’exemple le plus frappant, mais d’autres nations comme Madagascar ou Maurice se retrouvent également dans une situation critique. Pour ces économies, c’est un modèle de développement entier qui est remis en cause.
Stratégies d’adaptation et perspectives
Diversification des marchés d’exportation
Face à cette fermeture partielle du marché américain, les économies africaines doivent envisager une réorientation de leurs exportations. Trois options principales se dessinent pour les exportateurs africains :
- L’Asie, avec la Chine comme débouché potentiel. Cette option présente l’avantage d’un marché en croissance, mais pose la question de la dépendance excessive à un nouveau partenaire unique.
- L’Europe, malgré des normes d’accès contraignantes. Le marché européen reste attractif mais exige des standards de production souvent difficiles à atteindre pour les producteurs africains.
- Les marchés intra-africains, via la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Cette option permettrait de renforcer l’intégration économique régionale et de réduire la dépendance aux marchés extérieurs.
Le potentiel inexploité de la ZLECAf
La ZLECAf pourrait constituer une réponse structurelle aux défis posés par les taxes américaines. En facilitant les échanges intra-africains, cet accord pourrait permettre l’émergence de chaînes de valeur régionales et une industrialisation progressive du continent. Cette crise pourrait ainsi paradoxalement accélérer la mise en œuvre effective de la ZLECAf.
Cependant, la transition vers un commerce intra-africain plus dynamique ne sera pas immédiate. Des obstacles persistent, notamment en termes d’infrastructures, d’harmonisation réglementaire et de complémentarité des économies. De plus, cette transition nécessite des investissements importants dans les capacités de transformation locale.
Vers une réciprocité commerciale ?
Certains analystes voient dans cette crise une opportunité pour l’Afrique de repenser ses relations commerciales avec les États-Unis et d’autres partenaires. Le politologue Serigne Bamba Gaye estime que “le moment est venu pour les États africains d’ouvrir les yeux et de pouvoir véritablement créer les conditions dans lesquelles ces pays pourront désormais exploiter leurs matières premières et également traiter sur un pied d’égalité avec les compagnies privées américaines”.
Cette approche rejoint la question des taxes à l’exportation, un outil peu utilisé en Afrique mais qui pourrait permettre d’encourager la transformation locale des matières premières avant exportation. Historiquement, les économies africaines ont été structurées comme des fournisseurs de matières premières brutes pour les industries des pays développés, sans développer de capacités de transformation locale.
Conséquences macroéconomiques et risques systémiques
Le spectre de l’inflation et des représailles
Une tentation pourrait être d’instaurer des mesures de représailles en augmentant les tarifs douaniers africains sur les produits américains. Cependant, comme le souligne l’économiste sénégalais Meissa Babou, “Augmenter nos propres tarifs serait suicidaire. Nous importons tout et créerions une inflation galopante”. En effet, la plupart des pays africains dépendent fortement des importations pour leurs biens de consommation et d’équipement.
Le déficit commercial des États-Unis avec l’Afrique est relativement modeste (7,4 milliards de dollars), ce qui limite la portée d’éventuelles mesures de rétorsion. De plus, une escalade des tensions commerciales risquerait d’affecter d’autres domaines de coopération avec les États-Unis, notamment l’aide au développement et les programmes de sécurité.
Opportunités de transformation structurelle
Cette crise pourrait néanmoins catalyser une transformation structurelle des économies africaines. La dépendance aux exportations de produits bruts vers les marchés occidentaux a longtemps maintenu l’Afrique dans un schéma économique hérité de la période coloniale. La “progressivité des droits de douane”, qui taxe davantage les produits transformés que les matières premières brutes, a historiquement découragé l’industrialisation africaine.
Les nouvelles taxes américaines pourraient paradoxalement inciter les économies africaines à investir davantage dans la transformation locale et l’industrialisation. Cette évolution nécessiterait cependant un soutien politique fort et des investissements considérables dans les infrastructures et la formation.
Conclusion
Les nouvelles taxes douanières imposées par l’administration Trump représentent indéniablement un choc majeur pour les économies africaines, remettant en question des années de relations commerciales préférentielles. Les secteurs exportateurs clés comme le textile au Lesotho ou l’automobile en Afrique du Sud seront particulièrement affectés, avec des conséquences potentiellement dévastatrices sur l’emploi et la croissance économique.
Cependant, cette crise pourrait aussi constituer une opportunité de repenser les modèles économiques africains, trop longtemps axés sur l’exportation de produits bruts. L’accélération de l’intégration régionale via la ZLECAf, le développement de capacités de transformation locale et la diversification des partenaires commerciaux apparaissent comme des stratégies prometteuses pour une Afrique plus résiliente.
La question fondamentale reste celle de la transition : comment maintenir à flot les secteurs exportateurs actuels tout en investissant dans la transformation structurelle des économies africaines ? Les gouvernements africains, les organisations régionales et les partenaires internationaux devront œuvrer ensemble pour apporter des réponses adaptées à ce défi majeur.