Dans un coup de théâtre politique qui secoue la République Démocratique du Congo, l’ancien gouverneur du Sankuru, Joseph Stéphane Mukumadi, a choisi de rejoindre les rangs de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition politico-militaire dirigée par Corneille Nangaa et incluant le mouvement rebelle M23. Cette annonce, faite depuis Goma, ville actuellement sous contrôle rebelle dans l’est de la RDC, marque un virage radical dans le parcours de cet homme politique autrefois perçu comme une étoile montante du paysage provincial.
Élu en 2019 à la tête du Sankuru à seulement 36 ans, Mukumadi avait alors incarné l’espoir d’un renouveau politique, battant le vétéran Lambert Mende du Front Commun pour le Congo (FCC). Mais son mandat, écourté par une destitution en 2020 suite à des accusations de violations des droits humains, notamment contre des journalistes, l’avait contraint à un exil discret, principalement en France. Son retour sur la scène publique, aux côtés d’une coalition qualifiée de « terroriste » par Kinshasa, interroge sur les motivations profondes de ce revirement.
Lors d’une déclaration publique à Goma, Mukumadi a justifié son ralliement à l’AFC, présentant ce choix comme un acte de rupture avec un système politique qu’il juge défaillant. « Le moment est venu de tourner la page des échecs successifs et de construire une nouvelle donne politique pour notre pays », a-t-il déclaré, sans toutefois préciser le rôle exact qu’il entend jouer au sein de cette mouvance.
Ce repositionnement intervient dans un contexte géopolitique particulièrement volatile. L’AFC/M23, accusée par les autorités congolaises d’être soutenue par le Rwanda, a réussi ces derniers mois à étendre son emprise territoriale dans le Nord-Kivu, capturant des villes stratégiques comme Goma et Sake. Ces avancées militaires s’accompagnent d’une crise humanitaire croissante, avec des milliers de déplacés et des accusations répétées d’exactions contre les populations civiles.
À Kinshasa, la réaction ne s’est pas fait attendre. Le gouvernement a immédiatement qualifié Mukumadi de « traître à la nation », promettant des poursuites judiciaires. Dans les couloirs du Palais de la Nation, on s’interroge cependant sur l’impact réel de cette défection. S’agit-il d’un coup d’éclat isolé ou le signe avant-coureur d’une vague de ralliements d’anciens responsables déchus ?
Les analystes politiques sont partagés sur les motivations de l’ancien gouverneur. Pour certains, il s’agirait d’une tentative désespérée de retrouver une influence perdue, en s’appuyant sur la dynamique militaire de l’AFC. D’autres y voient le calcul d’un homme politique jouant la carte de l’alternance, anticipant un possible effondrement du pouvoir central. Quoi qu’il en soit, ce choix place Mukumadi dans une position périlleuse, alors que les principaux leaders de l’AFC font l’objet de condamnations à mort par contumace.
Dans le Sankuru, province dont Mukumadi fut le gouverneur, les réactions sont mitigées. Si certains saluent son « courage » de s’opposer ouvertement au pouvoir central, d’autres craignent que ce positionnement n’attire des représailles sur la région. « C’est un coup de poker risqué », confie un notable local sous couvert d’anonymat. « Soit il devient une figure centrale d’un nouvel ordre politique, soit il finira comme tant d’autres, oublié dans les geôles de Makala ou contraint à l’exil perpétuel. »
Sur le plan stratégique, ce ralliement pourrait donner à l’AFC une légitimité politique supplémentaire, lui permettant de se présenter comme une alternative crédible au pouvoir en place. Cependant, l’organisation reste isolée sur la scène internationale, sous le coup de sanctions onusiennes et américaines. La question qui se pose désormais est de savoir si d’autres personnalités politiques marginalisées emboîteront le pas à Mukumadi, accentuant ainsi la fragmentation d’un pays déjà miné par des décennies de crises.
Alors que les FARDC, soutenues par des contingents internationaux, tentent de reprendre le contrôle des zones occupées par les rebelles, la défection de Mukumadi ajoute une nouvelle couche de complexité à une crise multidimensionnelle. Entre enjeux locaux de pouvoir, rivalités régionales et tensions internationales, la RDC semble s’enfoncer un peu plus dans l’instabilité, avec des conséquences humanitaires de plus en plus dramatiques pour les populations civiles prises au piège de ce conflit sans fin.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: linterview.cd