Au cœur de l’Ituri, un modeste étalage de manioc braisé et de mangues juteuses raconte une histoire bien plus grande que ses paniers tressés. Le marché communautaire « Mayi ya Franga », niché sur l’axe Bogoro-Kasenyi, pulse comme une artère vitale où se croisent Ngiti, Hema et Bira. Ici, les effluves de cossettes grillées se mêlent aux rires des marchandes, tandis que les camions chargés de minerais klaxonnent en contrebas. « Quand je m’arrête pour acheter mon songo, c’est pas seulement contre la faim », confie un chauffeur routier en mordant dans une tranche croustillante. « C’est comme si on rechargeait aussi notre humanité. » Cette halte improvisée en lisière de forêt tropicale fonctionne tel un laboratoire social : trois ans après les violences intercommunautaires, les mêmes mains qui tenaient des machettes échangent aujourd’hui des billets froissés et des sacs de sel. Les femmes, véritables architectes de cette trêve quotidienne, déroulent leur savoir-faire sous les regards bienveillants des anciens. « Le matin, nos paniers sont pleins de divergences, le soir ils sont vides de rancœurs », philosophe Mama Shako en ajustant son pagne. Pourtant, derrière cette apparente harmonie se cache une précarité tenace : « La paix sans routes ni écoles, c’est comme un arbre sans racines », soupire une vendeuse de papayes. Chaque transaction devient un acte de résistance. Les billets de 500 francs congolais circulent plus vite que les rumeurs, tissant une économie de survie qui défie les clivages. « Regardez ces enfants », montre du doigt une commerçante, « ils jouent ensemble sans savoir qui est de quelle ethnie. C’est ça notre victoire. » Mais l’urgence persiste. Les revendications des marchandes résonnent comme un appel à l’État : « Nous avons planté les graines de la coexistence, maintenant il faut que le gouvernement arrose ce champ », implorent-elles. Dans ce coin oublié du Sud-Irumu, le développement se mesure à l’aune des sacs de semences et des cahiers d’écoliers plutôt qu’aux rapports économiques. Alors que le soleil décline, transformant le marché en une mosaïque d’ombres dansantes, une question subsiste : comment reproduire ce miracle de cohésion à l’échelle nationale ? Le « Mayi ya Franga », littéralement « l’eau qui rapporte de l’argent », pourrait bien contenir les principes actifs d’un remède social longtemps recherché.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net