Bukavu, ville martyre de la nuit. Ces dernières 48 heures ont plongé la cité du Sud-Kivu dans une spirale de violence où balle perdue et vindicte populaire dessinent une géographie de l’effroi. Trois vies emportées, deux méthodes différentes, un même sentiment d’impunité qui ronge les artères de Kadutu à Ibanda. Dimanche 30 mars, le quartier Nyamugo se réveille avec un cadavre au petit matin. Un jeune garçon abattu sur le chemin de la maison, son corps devenu symbole d’une colère sourde. « On a marché avec lui jusqu’à ce que les rebelles nous dispersent à coups de feu », raconte une habitante, les paupières lourdes de nuits blanches. La morgue de l’hôpital général de référence de Bukavu engloutit ce drame comme les autres. À quelques rues de là, avenue Ruzizi, la mécanique implacable de la justice populaire s’est enclenchée dans l’ombre. Un présumé voleur lynché puis carbonisé, son corps transformé en épouvantail urbain. Même scénario la veille au quartier Nkafu : un flagrant délit de vol, une foule en transe, une vie réduite en cendres. Ces drames s’inscrivent dans une séquence macabre. Entre le 6 et le 9 mars, dix morts par balle selon des sources locales. Le rapport accablant d’OCHA vient confirmer cette descente aux enfers : dix corps retrouvés en une seule nuit mi-mars à Ibanda, Kadutu et Bagira. Comment en est-on arrivé là ? La réponse se niche peut-être dans ces rues où l’État a déserté son rôle de protecteur. Les forces rebelles qui contrôlent la ville répondent aux manifestations par des tirs de sommation, tandis que la population, abandonnée à son sort, forge sa propre justice. Un cercle vicieux qui transforme les ruelles de Bukavu en coupe-gorge à ciel ouvert. « La nuit, on barricade nos portes comme en temps de guerre », souffle un commerçant de Ndendere. Dans cette ville où l’insécurité ronge le quotidien, chaque ombre porte désormais la menace d’une balle perdue ou d’une foule déchaînée. Les autorités locales promettent des renforts sécuritaires, mais sur le terrain, les Bukaviens attendent toujours l’aube d’une normalité oubliée.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net